Le poulain de zéro à six mois – Partie 3
Au cours des premiers jours, la santé du poulain et celle de sa mère sont les priorités absolues. Vient ensuite le moment d’aborder les bases de son éducation, déterminantes pour sa relation avec l’homme et sa future vie de cheval de sport.
Si, durant les premières heures, l’homme veille à intervenir le moins possible, les premières semaines constituent une période propice à l’apprentissage. Les études en attestent, les poulains qui s’approchent sans crainte voire volontiers, de l’homme et acceptent son contact ont vécu des interventions plutôt courtes et répétées du sevrage à l’âge adulte, tandis que d’autres, qui s’en éloignent voire se montrent agressifs, auraient subi des manipulations intensives dès leur naissance ou, au contraire, n’auraient vécu aucun contact jusqu’au débourrage. Les occasions de manipuler le poulain sont nombreuses et fréquentes, qu’il s’agisse de se rendre de l’écurie au paddock, d’accompagner sa mère à la saillie, des interventions du maréchal ferrant ou du vétérinaire, des changements de pâture, ou bien de la préparation aux concours de modèle et allures. Toutefois, le poulain conserve des manipulations une mémoire plutôt courte, d’où la nécessité de les prévoir brèves et répétées régulièrement, faute de constater un comportement d’évitement du contact humain. Par ailleurs, le poulain est rassuré par la proximité de sa mère et influencé par son comportement vis-à-vis de l’homme lors d’approches indirectes. Autrement dit, apprivoiser la mère permettrait d’apprivoiser le poulain.
Le regard des scientifiques
Dans les années 1970, le Docteur vétérinaire américain Robert Miller préconisait une méthode dite d’imprégnation post-natale du poulain, basée sur les travaux de l’éthologue Konrad Lorenz, spécialiste des oiseaux. Il s’agissait d’imposer au nouveau né une toilette avec un linge mouillé, une désensibilisation au toucher sur toutes les zones de son corps, y compris les plus sensibles, en contraignant le poulain à rester couché, au besoin par la force, puis de le familiariser avec des objets et sons effrayants type bombes aérosols, tondeuse tenue à l’oreille, sacs plastiques etc. Depuis, cette méthode pour le moins précoce, intrusive et largement contestée a fait place, notamment grâce aux études menées par les éthologues, à des recommandations bien différentes. Léa Lansade, chercheuse à l’IFCE, basée à l’INRAE de Nouzilly, s’est penchée sur le sujet de l’éducation du jeune poulain. L’une des études, menée sur deux semaines après la naissance, a montré que les manipulations quotidiennes qui consistent sur cinq à dix minutes à le caresser, à lui mettre un licol, à l’initier au contact des outils de pansage, à lui prendre les pieds, à marcher en main et à monter dans le camion, sont profitables, à condition toutefois de les prolonger dans la durée tous les deux ou trois jours et de ne pas négliger l’apprentissage du respect des distances avec l’homme, comme on le ferait avec un cheval adulte. « Le rapport de force est à l’évidence en faveur de l’homme à un âge précoce. Les manipulations se déroulent sans heurt ni stress, elles contribuent à une forme d’enrichissement qui impactent fortement sa personnalité d’adulte, et donnent de manière durable des chevaux plus curieux et moins peureux », indique Léa Lansade. « Par ailleurs, les bonnes relations établies avec la mère, même avant la naissance, créent un phénomène de facilitation sociale avec l’homme. En revanche, il ne faut pas compter sur la gestation ou la naissance d’un poulain pour calmer une jument, car les défauts d’éducation de la mère se transfèrent au poulain, et la situation se complique d’autant plus. »
Dans le cas où l’éleveur n’a pas pu consacrer le temps nécessaire aux premières manipulations, la période idéale est celle qui suit immédiatement le sevrage. Le poulain, qui vient de perdre sa mère, en manque de repères sociaux, est beaucoup plus réceptif à l’humain et retient de manière durable les apprentissages acquis. À ce propos, Léa Lansade le précise, les apprentissages « “distribués”, ou répartis quotidiennement sur une demi-heure sont plus durables que les apprentissages “massés” ou groupés sur un laps de temps court. »
Se focaliser sur la relation et le moment
Célia Caffarelli, de l’élevage Solemio en Dordogne, ostéopathe humain et équin, diplômée en podologie équine, titulaire d’un BPJEPS équitation, s’est passionnée pour l’approche éthologique et propose notamment des formations sur l’éducation du poulain de la naissance au sevrage. « Il faut tout d’abord créer un lien avec le poulain, faire en sorte qu’il ait envie d’être avec l’humain, de voir ce qu’il a à lui proposer, tout en lui laissant en permanence la possibilité de partir et en cessant l’exercice dès qu’il en exprime le moindre souhait. Son envie de participer éveillera sa curiosité et sa confiance faciliteront l’assimilation des diverses étapes de son éducation, ce qui ne serait pas le cas si l’on cherchait à lui imposer de nouvelles acquisitions. L’objectif, en étant dans l’invitation, et non en position de chef de clan, est de faire comprendre au poulain que la proximité avec l’humain est positive. Par ailleurs, le poulain, qui vit son environnement par rapport à sa mère, est sensible à la relation qu’elle entretient avec l’homme. Il sera tenté de lui faire confiance à son tour, alors qu’en cas de tension, la jument pourrait faire barrage à l’approche de son poulain par l’homme. » Célia Caffarelli l’affirme, il est primordial de se faire encadrer par un professionnel pour éduquer un jeune poulain, ne pas agir comme avec un cheval adulte, en intervenant trop fort, trop vite ou trop longtemps, ne pas se focaliser à tout prix sur l’objectif mais sur la relation et sur le moment, en privilégiant les interactions courtes et positives qui, au final, permettent de gagner un temps précieux. Alors qu’à vouloir aller trop vite, on risque de créer des problèmes qui perdurent dans le temps. Le rôle de l’éleveur est d’éduquer son poulain en fonction des capacités propres à son âge, à savoir au minimum respecter l’humain, marcher en longe, céder à la pression, ne pas mordre ni taper, accepter les soins et interventions de base.
Chaque individu réagit selon son tempérament et à son rythme. Il faut parfois leur accorder davantage de temps pour acquérir la maturité au lieu de forcer leur adhésion au risque de briser la relation de confiance, proposer, attendre les réponses, être à l’écoute et ne jamais dépasser la limite de tolérance mentale de chacun, qui se développe avec la maturité. Plus on commence tôt dans le jeu et la curiosité, plus c’est efficace. Le savoir-être de l’homme qui intervient est également essentiel à la réussite de l’apprentissage.
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