L'E
L’Expertise

Le sevrage, étape clé dans le développement social des poulains ?

Emilie Dupont 12 juin 2023

Si le sevrage est un moment crucial dans la vie de tous les poulains, son influence est certainement encore plus grande que ce que l’on a tendance à croire. Notamment en ce qui concerne le développement social des jeunes chevaux, et donc leur rapport aux autres, comme l’a étudié Mathilde Valenchon, chercheuse à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE).

Être dépendant de sa mère, avec qui il entretient un lien quasi exclusif, puis, au fil des semaines, tenter par lui-même de nouvelles expériences et prendre un peu d’indépendance… Telles sont les premières phases de la vie d’un poulain. Parmi les expériences inédites qu’il fait au cours de la deuxième d’entre elles, souvent appelée “phase de diversification”, il y a celle d’aller à la rencontre de ses congénères, d’autres poulains ou chevaux plus âgés, et de multiplier les interactions avec eux. Parfois positives, parfois négatives, ces rencontres vont permettre au poulain “d’expérimenter et, ensuite, d’affiner son comportement”, comme l’explique Mathilde Valenchon, chercheuse à l’INRAE. “Cela leur permet d’apprendre à être plus sélectifs dans le comportement social qu’ils vont activer et envers qui.” 

Si, durant cette période de leur vie, leur mère joue encore un rôle des plus importants, à six mois, les poulains en sont pourtant généralement éloignés afin de procéder au sevrage. Mais quel impact cet événement a-t-il sur le développement des compétences sociales du poulain ? C’est ce qu’a cherché à savoir Mathilde Valenchon.

Des différences notables

Pour tester l’effet du sevrage comme modèle de perturbation sur le développement social des poulains, la chercheuse a ainsi comparé, durant plus d’un an et au sein d’un même environnement, les comportements de douze poulains sevrés et douze poulains bénéficiant encore de la présence de leur mère, mâles et femelles séparés. “Nous avons réalisé une étude pré-sevrage, puis une autre à six mois, lorsque nous avons séparé la moitié des poulains de leurs mères, et une autre quelques mois après cela”, indique Mathilde Valenchon. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les résultats sont parfois surprenants.

Sur le plan physique, la chercheuse et ses équipes ont notamment pu remarquer que les poulains non sevrés prenaient généralement plus de poids que les poulains sevrés, y compris plus de sept mois après la séparation. Sur le plan social, ils ont pu observer que les femelles non sevrées consacraient plus de temps aux intéractions sociales positives (principalement le toilettage mutuel) pendant les trois premiers mois et se faisaient ainsi une place centrale au sein du groupe. Chez les mâles, les jeunes non sevrés se sont quant à eux plus consacrés aux jeux sociaux. “Ils y consacraient plus de temps et en étaient plus à l’initiative, mais cela ne leur permettait cependant pas d’accéder à une place centrale au sein du groupe”, souligne Mathilde Valenchon. Enfin, si l’introduction d’un nouvel objet, d’un nouvel humain ou bien même la première expérience de maréchalerie n’a pas susciter de réactivité chez les poulains, la présence d’une nouvelle jument au sein de groupe a, elle, attisé la curiosité, notamment des femelles non sevrées, qui s’en approchaient plus vite et interagissaient davantage avec elle. Plusieurs observations qui, toutes, mènent à la question suivante : les compétences sociales se développent-elles plus vite et mieux chez les individus non sevrés ?

Une influence durable

“Les résultats montrent que la rupture du lien maternel impacte durablement les poulains, même à l’âge de six mois où ils sont déjà dans une phase de diversification dans leur socialisation et même s’ils évoluent dans un environnement socialement riche. La présence maternelle est bénéfique, y compris au-delà de l’âge de six mois, notamment parce qu’elle permet d’accroître les compétences sociales”, affirme la chercheuse. Mais comment expliquer les différences ayant été observées entre les mâles et les femelles ? Si Mathilde Valenchon n’a pas fait une étude spécifique sur le sujet, elle amène néanmoins quelques pistes de réflexions. “Il a été démontré que les liens mère/fille sont plus exclusifs que les liens mère/fils. Peut-être que lorsque ces liens sont plus forts, l’impact sur le développement social l’est également”, suppose la chercheuse, qui va désormais approfondir cette question du décalage existant entre les poulains sevrés et non sevrés (mâles et femelles). Est-ce un simple retard qui sera rattrapé par la suite ou une réelle diminution des compétences sociales ? Affaire à suivre.

Crédit photo : Pixabay.