Sofian Misraoui prépare son ascension
Deuxième du Trophée L’Eperon des meilleurs formateurs de jeunes chevaux lors de l’édition 2023 de la Grande Semaine de l’élevage, Sofian Misraoui, trente-trois ans, est un cavalier que l’on ne manque pas de remarquer de par la finesse de son équitation. Installé dans l’est, à Rosières-aux-Salines, il prépare avec patience ses jeunes montures en vue d’accéder dans quelque temps au haut niveau.
Depuis Ibiza, où il prend sa “vraie seule semaine de vacances après Fontainebleau“, Sofian Misraoui est revenu pour L’Eperon sur ses résultats lors de la Grande Semaine de l’élevage, globalement satisfaisants, malgré quelques petites déceptions.
Une incompréhension qui cause regret et chagrin
La première vient forcément de l’incompréhension entre son excellent étalon de six ans, Chagrin d’Amour (Candy de Nantuel*GFE), et le cavalier dans la première manche de la finale réservée aux Autres stud-books (dont vous pouvez consulter le compte-rendu ici). “Avec Jean-Maurice Bonneau, nous avions convenu que je devais faire neuf foulées entre la rivière et l’oxer qui suivait“, relate Sofian. “Mais Chagrin est un cheval qui a beaucoup, beaucoup d’action. J’ai vu que j’allais me retrouver très près de l’oxer, alors je me suis un peu décalé de ma trajectoire pour donner de la place à Chagrin. Tant et si bien qu’à deux foulées de l’oxer, le cheval a quitté l’obstacle des yeux et a cru qu’il ne devait pas le sauter. Il s’est arrêté, ce qui ne lui arrive jamais… Il a fait une très bonne deuxième manche, en bouclant un sans faute, mais cette imprécision de ma part m’a gâché la journée et nous a coûté un podium. Mais avec des si…” L’étalon de Selle Luxembourgeois, qui a fait sensation dans ce championnat des six ans ASB, appartient à son naisseur, Andre Nepper, avec lequel Sofian travaille depuis quelques années. “J’ai récupéré Chagrin en début d’année de cinq ans, et nous avons choisi de le préserver l’an dernier, à cinq ans, en allant uniquement jusqu’au CIR. Il n’a fait que du sans faute en 2022 et a uniquement fait tomber une barre cette année sur sa saison. C’est vraiment un top cheval et je pense qu’il finira par être commercialisé.“
Une belle quatrième place chez les 6 ans
Outre son tout bon Chagrin, Sofian avait trois autres de ses six ans qualifiés à Fontainebleau, dont Happy Star de Talma (Contendro, Holst) et Halisco d’Asschaut (Vigo Cédé), vice-champion à quatre ans, tous deux propriété de Michel Guiot, avec lequel Sofian collabore régulièrement. “Je pense qu’Halisco, qui est un peu plus compliqué que Chagrin et qui a beaucoup de sang, est un vrai cheval d’avenir. Il a fait une très bonne saison et a notamment gagné le CIR de Rosières. Lors des qualificatives, il fait sans faute, puis quatre points. Il présente beaucoup de qualités, et Michel ne souhaite pas le commercialiser pour le moment. Je pense qu’il pourra vraiment sauter de gros parcours à terme.” Le cavalier réalise également dans ce championnat des six ans réservé aux hongres et entiers une belle opération avec Halifax du Barquet (Lauterbach, Old), en prenant la quatrième place et une mention Elite. Halifax appartient à la famille Rulquin, qui en a fait l’acquisition aux ventes Fences à trois ans, et est passé sous la selle de Sofian l’hiver dernier. “C’est un cheval qu’ont fait naître Benjamin Ghelfi et François-Xavier Boudant, des personnes que j’apprécie beaucoup, et l’histoire est assez sympa. Je suis vraiment content pour Halifax. Mais sans la faute en première manche, cela aurait été beaucoup mieux, comme pour Chagrin…”
En plus de ces quatre chevaux qu’il travaille à l’année, Sofian Misraoui a également monté quasiment au pied levé trois chevaux pour Alain Fortin, dont le cavalier s’était blessé quelques jours avant les finales bellifontaines : Harwenn ML (Candy de Nantuel*GFE), Hambo du Lys (Toulon, Bwp) et Itopaze MF (Quartz du Chanu), tous qualifiés en finale de leur catégorie.
Depuis plusieurs années maintenant, Sofian Misraoui, après avoir vécu en Normandie, puis dans la région de Montpellier, est installé à Rosières-aux-Salines, dans les écuries de ses beaux-parents, Jean-Michel et Danielle Gaspard. Avec sa compagne Marlène, le cavalier gère entre vingt et vingt-cinq chevaux, jeunes et moins jeunes. “Nous avons toutes les infrastructures nécessaires au travail des chevaux, deux manèges, une carrière, un marcheur et soixante hectares de pâtures, qui accueillent également les chevaux d’élevage. Au total, une centaine de chevaux sont présents sur le site.”
Dans la méthode qu’il applique, Sofian explique ne pas emmener généralement beaucoup de chevaux à Fontainebleau. Les quatre et les cinq ans font généralement quelques parcours, éventuellement jusqu’aux CIR, puis retournent au pré. “Quand j’ai des chevaux que je souhaite garder, ou faire un peu vieillir, j’essaie de les économiser un peu durant leurs jeunes années. Car quand ils font une finale à quatre ans, une finale à cinq ans, une finale à six ans et une finale à sept ans, ils ont déjà une sacrée carrière derrière eux !“
Entre ambition sportive et lucidité économique
Parmi les chevaux en lesquels Sofian croit beaucoup, il y a Guerymax Nouvolieu (Vagabond de la Pomme, sBs), sorti cette année en épreuves du Top 7. “C’est un cheval qui appartient à mes beaux-parents et qui apparait vraiment comme un cheval d’avenir. Notre ambition est de l’amener tranquillement jusqu’à l’âge de neuf ans, pour le sport. Nous avons fait le choix, pour l’économiser, de ne pas le faire partir dans le championnat des sept ans à Fontainebleau.” L’ambition du cavalier est de construire son système sportif et son ascension vers de belles épreuves autour de ce cheval doté d’un potentiel important.
“J’ai également une jument de sept ans, Genial Lulu (Idéal de la Loge), une petite-fille de la super Uélème d’Olivier Jouanneteau, qui me semble avoir énormément de capacités. Elle appartient à Alain Fortin, et elle aussi, je pense, pourrait se révéler à terme.” Sofian Misraoui compte également sur le cheval de Michel Guiot, Alisco d’Asschaut. “Je commence à avoir un très bon piquet de chevaux de six ou sept ans qui, a priori, ne devraient pas être commercialisés. C’est en tout cas le souhait de leur propriétaire…”
Sofian aimerait ainsi garder ses montures sous sa selle pour évoluer et, à terme, courir les CSI3 ou 4* a minima. “Je pense que tous ces chevaux ont le potentiel pour aller faire du haut niveau, et c’est mon ambition. Après, tous les cavaliers professionnels savent qu’il est parfois difficile de tourner à haut niveau, tout en continuant de gagner sa vie, car le haut niveau coûte très cher. Il y a les rêves et la réalité économique. Je vais essayer de construire mon système petit à petit, comme l’ont fait par exemple Nicolas Delmotte et Marc Dilasser. On ne peut malheureusement pas garder tous les chevaux, le commerce est nécessaire, surtout au vu des charges qui ont augmenté ces dernières années. Beaucoup de cavaliers qui tournent à haut niveau obtiennent des financements par d’autres activités économiques ou du mécénat. Quand on vit de cela, du travail des chevaux, des pensions, il faut faire des choix car le haut niveau coûte cher, et il y a souvent peu de retour sur investissement, surtout au début. C’est pourquoi je ne critique surtout les cavaliers professionnels qui vendent leurs chevaux de tête, parce qu’ils en ont tout simplement besoin pour vivre. Nous ne sommes pas tous suivis par des mécènes, nous ne sommes pas tous des Bertram Allen ou des Harry Charles, en Grands Prix Coupe du Monde à vingt-et-un ans, suivis par de solides sponsors. Faire de grosses épreuves tout en gagnant sa vie dans le cheval est une équation compliquée.”
Un héritage paternel, Eric Navet et Hervé Francart en bonus
Depuis deux ans, Sofian Misraoui travaille avec Jean-Maurice Bonneau. “J’échange beaucoup avec lui, notamment par téléphone, parce que nous habitons loin l’un de l’autre. Nous suivons un fil rouge pour faire progresser les chevaux et construire le système dont je parlais tout à l’heure.” C’est le père de Sofian, Tayeb Misraoui, qui a mis le pied de son fils à l’étrier de son fils. “Mes parents avaient une écurie en Normandie, et mon père faisait des compétitions en seconde catégorie. Il m’a transmis sa passion. Par la suite, nous sommes partis du côté de Montpellier. J’ai passé mon bac, j’ai suivi des cours dans une fac de sport et puis j’ai passé mon monitorat. Mais j’ai rapidement su que je souhaitais me diriger vers une carrière de cavalier et faire de la compétition. A l’époque, j’étais un très grand fan d’Eric Navet, j’adorais ce cavalier. Mon père, qui connaissait la soeur d’Eric, Sylvie, lui a passé un coup de fil pour savoir s’il n’y avait pas une place en stage au sein de ses écuries. Deux semaines plus tard, j’arrivais chez mon idole en tant que stagiaire.”
Sofian passe trois ans auprès du champion du monde, et reconnait avoir véritablement redécouvert le cheval et l’équitation à ses côtés. “Lorsque je suis arrivé chez Eric, je tournais sur 135, 140 avec des chevaux parfois un peu rétifs, que nous récupérions au travail mon père et moi. Je n’avais pas toujours les solutions à mes problèmes et il m’arrivait de me poser des questions, sans savoir comment faire. Avec Eric, j’ai reçu une autre approche, à pied, à cheval. Il a mis des mots sur des situations complexes, dont je ne savais parfois pas comment sortir. Nous faisions les débourrages, il m’expliquait comment travailler sur le plat… Il m’a fait découvrir tout son système et c’est en grande partie grâce à lui que j’en suis là aujourd’hui.” Après ses trois années chez Eric Navet, c’est auprès d’Hervé Francart que le cavalier poursuit ses classes. “Hervé m’a tout de suite fait confiance : il m’a donné un camion, neuf chevaux et je suis parti en concours. Là-bas, j’ai fait beaucoup de pistes, plus que chez Eric, mais j’ai pu expérimenter ce que j’avais appris au préalable.”
Aujourd’hui, Sofian prépare tranquillement son piquet de jeunes chevaux, pour espérer évoluer et entrer dans la sphère du haut niveau. “Je communique avec le staff fédéral régulièrement, je pense qu’ils sont en attente de voir de nouveaux couples se former. Je veux prendre mon temps et bien faire les choses, pour que ça monte en puissance d’ici deux, trois ans.“