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L’Expérience

Marie Demonte : « Psychologiquement, se reconcentrer sur les jeunes chevaux fait du bien »

Emilie Dupont 21 avril 2023

Cavalière de haut niveau mais avant tout formatrice de jeunes chevaux depuis de nombreuses années, Marie Demonte est, cette semaine, présente à Fontainebleau à l’occasion du Printemps des sports équestres. Avec plusieurs chevaux prometteurs, elle continue de former la relève, en étant toujours fidèle à sa philosophie et à la méthode que lui a enseigné Albert Voorn.

Votre piquet de chevaux a beaucoup évolué ces derniers temps. Vous êtes ici à Fontainebleau avec Fierté, Flashing et Flirt de Riverland. Qui sont les autres chevaux qui composent actuellement votre piquet ?

J’ai encore Forban de Béliard, le très bon fils d’Upsilon, AA. Comme toujours, j’ai également de nombreux chevaux de sept ans. Ils sont, en ce moment, environ six ou sept à la maison. En ce qui concerne les chevaux plus âgés, nous en avons vendu pas mal ces derniers temps avec l’écurie du Herrin car c’était le plan pour investir sur notre regretté Emir du Chanu (Air Jordan, Old). Sa perte a été un véritable choc pour toute l’écurie et toute mon équipe a été vraiment bouleversée par son départ. Pour moi comme pour les autres, et notamment les propriétaires, Monsieur et Madame Belooussoff, c’est un partenaire exceptionnel qui s’est envolé, tout comme nos rêves. Moralement et physiquement, ça a été très compliqué. D’autant que Drisse du Phare (Newton de Kreisker, SF), qui a dix ans et qui est donc dans le bon âge, a ensuite eu un problème pulmonaire et a donc été arrêtée. Elle devrait revenir en concours au mois de juillet, mais la loi des séries n’est pas en ma faveur ces derniers temps. Il y a des années où l’on a six chevaux prêts sur 1,60 mètre et d’autres où nous n’avons plus personne. Moralement, c’est dur. Ça fait partie de ma vie de cavalière, ce n’est pas la première fois que ça m’arrive, mais ce n’est jamais facile à vivre. Finalement, heureusement que j’ai toujours la relève à former, ça me motive et ça me fait penser à autre chose. Psychologiquement, se reconcentrer sur les jeunes chevaux fait du bien. Depuis peu, je suis d’ailleurs installée à l’élevage de Riverland, ce qui me permet d’avoir d’autres jeunes à former et d’avoir toujours un œil sur ce qui arrive.

Parmi tous les jeunes que vous avez, en qui fondez-vous le plus d’espoirs ? Selon vous, lequel a le plus grand potentiel pour le haut niveau ?

Epona du Quesnoy (Ogrion des Champs, SF), qui a neuf ans, est vraiment une super jument. Ici, elle va courir le championnat Pro Elite. Elle s’est retrouvée en haut de mon piquet parce que les autres ont eu quelques soucis mais ça va être une belle aventure et Fontainebleau va être une belle expérience pour elle. J’ai également de très bons huit ans, comme Flashing de Riverland (Kannan, KWPN), qui a sauté sans faute le Grand Prix du CSI2* du Mans et qui a bien sauté la Pro Elite de Vichy. Flirt de Riverland (I’m Special de Muze, Bwp) est également prêt à décoller, et le lot de sept ans arrive en force.

Sur la totalité de votre piquet actuel, tous les chevaux sont-ils destinés à être commercialisés ou aimeriez-vous en garder quelques-uns pour être plus régulière au plus haut niveau ?

Beaucoup sont destinés à être commercialisés et d’autres, en accord avec les propriétaires, devraient rester à mes côtés pour faire du sport. De plus en plus de propriétaires souhaitent se lancer dans l’aventure du sport et du haut niveau, malgré les propositions d’achat qui leur sont faites.

Quels sont vos objectifs, envies et ambitions pour cette saison ?

L’idée est d’amener certains chevaux de cinq, six et sept ans à la finale de Fontainebleau, et de faire évoluer Epona sur des CSI3* et CSI4*, voire dans une Coupe des nations de deuxième ligue. Les huit ans devraient tourner sur le circuit du Grand National. Tous ces circuits font vraiment très bien évoluer les chevaux.

Vous êtes, depuis de nombreuses années, une cavalière formatrice de jeunes chevaux reconnue. Qu’est-ce que la formation de jeunes vous a apporté en tant que cavalière ? Cela a-t-il changé votre façon de monter, de travailler et de voir les choses ?

Ma façon de travailler et de voir les choses ont surtout changé grâce à un homme : Albert Voorn. Lorsque j’avais vingt ans, Frédéric Boutet m’avait payé un stage avec lui et, durant ce dernier, je suis tombée amoureuse de cette méthode qui est simple et pas physique. Depuis vingt ans, je fais venir Albert chez moi deux fois par an pour travailler. Sa méthode va aussi bien à un cheval de trois ans qu’à un plus expérimenté. J’essaie de mettre tous mes chevaux de la même manière. C’est vrai que je ne tire pas forcément toujours tous les sans-fautes sur les épreuves jeunes chevaux et que je ne passe pas beaucoup de temps sur eux, mais j’essaie de leur apprendre des choses simples, et derrière les bénéfices sont géniaux. En février dernier, Mister Coconut (Carrera VDL, KWPN), que j’ai acheté à la famille Belooussoff à quatre ans parce que j’en étais tombée amoureuse, gagnait la finale de l’épreuve réservée aux jeunes chevaux de six ans alors que l’an passé, alors qu’il n’a dû faire que six parcours préparatoires à 1,20 mètre à Barbaste. Il était très en avance et à six ans il montre tout son potentiel. Il faut passer un peu de temps avec eux, leur apprendre la base et surtout, ensuite, les laisser grandir. Notamment dans ces âges-là. Il faut aller en extérieur, prendre du fond, de la masse musculaire… et pas passer des heures à les travailler tous les jours.

Vous êtes une fidèle des circuits de formation, et notamment des championnats de France Jeunes chevaux. Quel regard portez-vous sur le circuit SHF ? 

Le circuit SHF est bien parce qu’on regroupe les jeunes chevaux. Pour la commercialisation, il existe SHF Vidéo, ce qui est également très bien. Après, en ce qui concerne les parcours, je trouve qu’il y a une réelle inégalité entre les régions, surtout dans la hauteur et la technicité du tracé. J’aime beaucoup monter en CSI Jeunes chevaux parce qu’il y a beaucoup moins de pieds et que les distances sont meilleures. Sur les parcours SHF, je trouve qu’il manque au moins un mètre dans les lignes. Aujourd’hui, on est obligé de protéger les chevaux avec la main au lieu de les dérouler plus simplement, alors que le sport moderne impose des chevaux qui puissent se tenir en avançant. Et puis il y aussi le débat du coût des dotations et engagements. Je pense que les gens préfèreraient avoir moins de gains mais payer moins cher leurs engagements. Avec les jeunes, le sans-faute n’est jamais assuré et payer 50 euros par jour, c’est un budget. Il serait mieux de payer 20 euros et de gagner la même somme, plutôt que le 4 points soit si punitif financièrement pour les propriétaires. Nous sommes dans un circuit de formation et cette problématique nous impose de tirer le sans-faute. Il y a donc deux ou trois petites choses à améliorer sur le circuit SHF selon moi, mais il reste très bon et est une véritable aide pour commercialiser les chevaux.

Et que pensez-vous des CSI Jeunes chevaux ? 

Les CSI forment également très bien. D’ailleurs, la SHF m’a récemment contactée pour avoir mon point de vue sur un sujet, celui de faire compter les Grands Prix de CSI dans le circuit SHF. L’année dernière, je n’avais pas pu amener de chevaux à Fontainebleau juste parce que je n’avais pas couru tout le circuit. Même si seuls les CIR sont obligatoires, prendre des points dans les Grands Prix réservés aux chevaux de six ans dans les CSI lorsque l’on est sans faute va ouvrir plus de portes. Cela va également apporter une nouvelle clientèle à Fontainebleau.

Quelles sont, selon vous, les règles de base lorsque l’on forme un jeune cheval ? À quoi vous attachez-vous en priorité ?

Il faut se dire qu’à chaque fois que l’on monte un jeune cheval, nous sommes là pour lui apprendre quelque chose. Ce que j’aime, c’est qu’ils se tiennent dans l’équilibre tout seul, sans être assistés de la main. Ils doivent toujours être dans la bonne impulsion, bien devant la jambe. La rectitude est également primordiale. Pour faire simplement : le frein, l’accélérateur et l’équilibre.

Certains jeunes chevaux montrent rapidement de gros moyens et un fort potentiel, laissant croire qu’ils seraient, un jour, prêts à faire des championnats. La formation de ces chevaux-là diffère-t-elle des autres ? Comment forme-t-on un cheval avec un tel potentiel ? Y a-t-il des particularités ?

Un cheval qui montre un très grand potentiel, on le préserve. On essaie de toujours minimiser le nombre de sauts, de les faire sauter peu à la maison. Evidemment, le corps a toujours besoin de fonctionner mais, de ce fait, on fait surtout de la gymnastique sur un mètre. On travaille la rectitude, les bases de la technique, on s’attache à ce que le geste soit bon… Quand on a des chevaux avec du potentiel, on essaie toujours de faire moins au paddock, on pense au “saut en moins”. Pessoa disait d’ailleurs que les chevaux avaient un certain nombre de sauts dans leur vie, et je pense qu’il n’a pas tort. Ça ne sert à rien de gâcher ce nombre de sauts-là à quatre, cinq, six et même sept ans. La route est tellement longue après, quand on les emmène dans les gros concours à huit ou neuf ans… Je pense d’ailleurs qu’avoir fait du haut niveau permet de mieux voir là où il faut aller et d’avoir vraiment conscience du fait qu’il faut préserver les chevaux. 

Photo : Eric Knoll.