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L’Arc d’Ace Impact, toute la cruauté et la beauté des courses hippiques

Adrien Cugnasse 4 octobre 2023

Il n’y pas d’événement hippique en Europe continentale qui soit aussi fort que le Prix de l’Arc de Triomphe. L’édition 2023 a sacré un champion comme la France n’en a pas connu depuis longtemps, le formidable Ace Impact.

Six mois avant l’échéance – une éternité à l’échelle du calendrier hippique où les évènements s’enchaînent à une vitesse vertigineuse -, tout ce que l’Europe compte de journalistes, d’entraîneurs, de courtiers, de jockeys et de propriétaires se posent la question suivante : qui va gagner l’Arc ? Dans les sous-bois de Chantilly, sur les pistes de Newmarket, dans les travées de Deauville et de Tokyo, on murmure, on cherche, on devine. Si vous êtes éditeur d’un quotidien hippique en France, vous pouvez faire la Une de votre “canard” sur l’Arc presque une fois par semaine tout au long de l’année.

Le combat des titans

La grande course de Longchamp, malgré ses cinq millions d’euros, n’est plus l’épreuve la plus dotée au monde. La Saudi Cup, en Arabie Saoudite, offre (beaucoup) plus d’argent. Royal Ascot, en Angleterre, est plus mondain. Hong Kong ou le Japon atteignent des montagnes d’enjeux au pari mutuel. Mais l’Arc reste le combat des titans. L’épreuve où le sport hippique pousse tous les curseurs au maximum de leur intensité. Plus on s’approche du rendez-vous, plus la compétition prend un tournant dramatique. Il y a de l’excitation et du stress, de la peur aussi. Des années de labeur se jouent en quelques instants. Le rêve, c’est d’avoir un cheval capable de s’élancer avec une chance. Mais c’est tellement difficile. Sur les dizaines de milliers de pur-sangs qui naissent à travers le monde chaque printemps, moins d’une dizaine ont vraiment le profil pour être au départ dans chaque génération. Et parmi ces derniers, beaucoup ne seront pas au départ : méforme ou fatigue, blessure lors de la préparation intense, crainte de ne pas tenir la distance ou de ne pas s’adapter au terrain. Si bien que les 2,857 millions promis au vainqueur ne représentent finalement pas grand-chose en comparaison aux centaines de chevaux que les grands propriétaires élèvent ou achètent tous les ans. Pour moi, c’est d’ailleurs un très grand étonnement de voir les courses hippiques présentées comme une quête cupide par les médias généralistes. Petit ou grand, si un propriétaire vous dit qu’il gagne de l’argent, dans 95 % des cas c’est un menteur… ou alors une personne qui ne sait pas compter ! Au galop, on accepte de perdre un peu ou beaucoup d’argent par amour des chevaux, de la compétition et de l’adrénaline. Je me souviens un jour qu’un propriétaire qui venait de gagner l’Arc m’avait dit, pris par l’émotion : “C’est plus fort qu’un orgasme.” Heureusement, sa femme n’était pas là pour l’entendre…

Je me souviens un jour qu’un propriétaire qui venait de gagner l’Arc m’avait dit, pris par l’émotion : “C’est plus fort qu’un orgasme.” Heureusement, sa femme n’était pas là pour l’entendre…

Adrien Cugnasse, rédacteur en chef de Jour de Galop

Toute la beauté et la cruauté du sport hippique viennent du fait qu’Ace Impact (Cracksman), gagnant de l’édition 2023, n’a coûté que “que” 75 000 euros. Vous allez me dire, c’est tout de même une somme. Mais lorsqu’il est passé sur le ring d’Arqana, c’était presque deux fois moins que la moyenne des yearlings de cette vacation (163 574 euros). Ce jour-là, il fallait donc avoir les yeux bien ouverts pour le dénicher parmi les 355 yearlings au catalogue. Pourquoi n’a-t-il pas coûté plus cher ? C’est un peu un mystère. Son pedigree était très correct et le poulain était beau. En tout cas, il est considéré comme le meilleur gagnant de l’Arc de ces dernières années.

Quand un petit haras sort un grand cheval

Ses naisseurs, Waltraut et Karl Spanner, n’en reviennent pas. Ce couple de retraités allemand était complètement sonné : trente minutes après la victoire, ils n’arrivaient toujours pas à y croire ! Et je pense qu’ils n’avaient pas vraiment conscience qu’ils venaient de toucher 135 000 euros de prime à l’éleveur ! Ces allemands ont leurs trois poulinières en pension en Normandie au haras du Long Champ où Barbara Moser, une Allemande avec de petits moyens mais du génie, “sort” un bon cheval tous les ans. C’est toute la beauté du sport hippique : le talent est plus important que l’argent (même s’il en faut bien sûr). Les Spanner ont acheté la mère d’Ace Impact pour 16 500 euros lorsqu’elle était yearling et elle a montré de la qualité en course (deux fois placé de Listed). La saillie, elle, leur a coûté 25 000 livres. La cruauté du galop c’est que certains grands éleveurs internationaux dépensent cinq ou dix millions d’euros par an dans leurs saillies… et qu’ils n’ont toujours pas gagné l’Arc après cinquante ans d’effort. C’est aussi ce qui fait les belles histoires, et qui fait entendre que les grosses sommes d’argent investies ne sont pas toujours synonyme de succès.

L’éclosion d’un champion

Ace Impact a débuté sa carrière sous les couleurs de Serge Stempniak. Ce Ch’ti, qui travaille dans l’immobilier, a découvert les courses dans l’enfance en allant jouer le Quinté au bar du coin. Sans être milliardaire, il a commencé à avoir des chevaux de petite valeur. Et puis un jour, il a sauté le pas en cassant sa tirelire pour s’offrir des yearlings et en faisant appel aux services d’un grand entraîneur, Jean-Claude Rouget. A deux ans, Ace Impact aurait dû débuter au mois d’août. Mais le poulain a eu une baisse de forme. Et son mentor a préféré attendre le mois de janvier 2023 et le modeste meeting de Cagnes-sur-Mer pour lui faire découvrir la compétition. Disons-le tout net : lors de ses deux premières victoires, le poulain a montré de la qualité. Mais RIEN qui pouvait faire de lui un cheval d’Arc. Par contre, c’est un cheval qui s’est montré de plus en plus fort à chaque course : il a progressé avec la compétition. J’étais là, le 4 mai à Chantilly, lorsque les choses sérieuses ont commencé. Il a gagné le Prix du Suresnes (L) comme un bon cheval et décroché son ticket pour être au départ du Prix du Jockey Club (Gr1). Lors de la grande course des trois ans en France, Ace Impact a surpris tout le monde en s’imposant comme un champion. Un vrai. Le temps record de la course a volé en éclat en même temps qu’Ace Impact faisait parler son explosivité exceptionnelle. Fait rarissime : la presse anglaise crie au génie. Le favori de l’Arc, c’est lui.

Dimanche, dans la ligne droite, alors que la foule se lève et que même le mieux éduqué des spectateurs se met à crier, on a vu une flèche transpercer le peloton pour venir s’imposer dans un éclair de classe. Ph. France Galop/ Scoopdyga

Suite à ce succès, les offres ont afflué du monde entier. Mais Serge Stempniak ne voulait pas que son poulain quitte la France. Il en a donc vendu la moitié à la famille Chehboub, des Marseillais qui ont commencé à petit niveau avant de créer une grande écurie (Gousserie Racing), après avoir fait fortune dans la grande distribution et l’immobilier. On parle d’une transaction de six millions d’euros pour la moitié du poulain (un chiffre très difficilement vérifiable). Quoi qu’il en soit, Serge Stempniak a refusé des offres supérieures venant d’investisseurs chinois et irlandais.

Un crack à fleur de peau

Ace Impact est une étoile en piste. Mais avant les courses, c’est un être à fleur de peau. Lors de sa dernière course avant l’Arc, à Deauville, il a un peu paniqué. Et le jour J, on a cru que son jockey Cristian Demuro n’arriverait pas à se mettre en selle. Mais une fois sur la piste, le poulain se métamorphose. Quelque chose se déclenche dans sa tête et il devient un compétiteur tout à fait maniable. Dans l’Arc, Ace Impact a galopé parmi les derniers, comme il aime à le faire. Et dans la ligne droite, alors que la foule se lève et que même le mieux éduqué des spectateurs se met à crier, on a vu une flèche transpercer le peloton pour venir s’imposer dans un éclair de classe. L’impression visuelle est saisissante. Les adversaires, venus du monde entier, n’ont pu que constater la supériorité du poulain français. Meilleur trois ans au monde, invaincu en six sorties, Ace Impact à deux options pour l’avenir : partir directement au haras en vue de la saison de monte 2024, près de Deauville, ou rester à l’entraînement pour courir à quatre ans. C’est à son entourage de choisir. Au mois de novembre, il pourrait aussi tenter de courir la Japan Cup (Gr1). S’il s’essaye dans la grande course internationale du Japon, il affrontera alors le meilleur cheval d’âge au monde : Equinox (Kitasan Black), qui est un véritable monstre de classe. Un tel match serait probablement la course de la décennie !

Crédit photo à la une: France Galop/ Scoopdyga