L'E
L'Echo

Bernard Le Courtois : “La sélection de chevaux aura été l’oeuvre de ma vie”

La rédaction 8 mars 2024

L’éleveur emblématique à l’affixe Mail, Bernard Le Courtois, a annoncé sur ses réseaux qu’il aspirait à profiter de sa retraite. Fort de multiples succès, l’homme aux nombreuses casquettes, rédacteur en chef un temps de L’Eperon, détaille dans le cadre d’une cadre d’une interview les raisons qui le font tourner une page majeure de sa vie et à commercialiser le haras de Brullemail ainsi que ses chevaux.

Dans cette interview, Bernard Le Courtois confirme avoir pris la décision de cesser son activité et de vendre le haras de Brullemail et tout son effectif de chevaux, “avec un pincement au coeur”. “Certes, je suis un jeune senior, soixante-dix ans cette année, mais je pense qu’il faut partir sur la phase ascendante et ne pas faire l’année de trop. Il faut arrêter quand on le décide. L’idéal serait de vendre un “package” de mon haras avec tout l’effectif de poulinières – trente-cinq juments et pouliches et une dizaine de mâles de deux et trois ans – de manière à ce que mon affixe Mail perdure. Je serai heureux de rencontrer un repreneur qui continuerait mon travail de sélection au haras de Brullemail en conservant mon équipe formidable, car je n’ai pas d’héritier intéressé par les chevaux. Sinon, je ferai, comme d’autres l’ont fait avant moi, une vente de cessation d’activité en fin d’année et je vendrai la propriété séparément. La dispersion de mon cheptel de poulinières me satisferait moins, mais je ne doute pas que des juments et pouliches issus de mes souches maternelles triées sur le volet depuis des décennies intéresseront beaucoup de monde en France et à l’étranger. Par ailleurs, ma maison serait, pour des citadins ou des résidants étrangers, une charmante et ravissante résidence secondaire, à deux heures de route de Paris.

“Laudanum et Almé ont bouleversé ma vie”

Cette décision, sans doute difficile à prendre, est l’occasion pour Bernard Le Courtois de tirer un bilan de plusieurs décennies d’élevage. “Ma sélection de chevaux de sport au haras de Brullemail aura été l’oeuvre de ma vie. J’ai tout donné durant ces quarante dernières années à ma passion des chevaux et ils me l’ont bien rendu. J’ai bien vécu avec, pour et grâce aux chevaux du haras de Brullemail. J’ai débuté dans les chevaux comme cavalier amateur, puis ma passion de l’élevage m’a amené à devenir journaliste (rédacteur en chef du magazine L’Eperon). Puis, deux étalons exceptionnels ont croisé mon chemin en 1984 et 1985, Laudanum et Almé, et ils ont bouleversé ma vie. C’est grâce à eux que j’ai enfin pris la décision de concrétiser mon rêve d’enfance et de devenir éleveur professionnel de chevaux à trente-deux ans. Je me suis installé au manoir de Brullemail, dit Le Logis, que j’ai transformé en haras à partir de 1986 en étant d’abord locataire. Puis, grâce à la vente exceptionnelle d’Ornella Mail, j’ai pu faire l’acquisition de la propriété. J’avais choisi de m’installer à Brullemail car j’ai eu une véritable coup de coeur pour cette gentilhommière chargée d’histoire (construite en 1710 par un mousquetaire de la Duchesse d’Orléans) et le charme du site, perché en haut d’une colline et dominant tous ces hectares de riches herbages qui font la renommée de ce terroir – le pays du Merlerault -, fameux depuis des siècles et que le monde des courses appellent le French Kentucky. J’étais jeune et plein de courage et de projets pour aménager cette maison presqu’en ruine et cette ferme à l’abandon où tout était à faire ou restaurer, la maison et son jardin, le logement de gardien, les écuries – cinquante boxes -, les hangars et des kilomètres de clôture en bois et de plantation de haies. Le temps a passé vite et ce métier de passion, d’éleveurs et d’étalonnier, a bien rempli ma vie depuis. J’y ai élevé six générations de gagnants en presque quarante ans. J’ai connu, bien sûr, des déboires et des déceptions comme tous les éleveurs, mais ils sont totalement occultés par tout le bonheur et les immenses succès que mes chevaux m’ont offert pendant ces décennies.

J’ai connu, bien sûr, des déboires et des déceptions comme tous les éleveurs, mais ils sont totalement occultés par tout le bonheur et les immenses succès que mes chevaux m’ont offert pendant ces décennies.

Bernard Le Courtois

Lors du salon des étalons de Saint-Lô, quand j’ai annoncé officiellement cette décision de prendre ma retraite, les réactions ont été très touchantes et sympathiques. Plusieurs personnes m’ont dit que j’avais été l’éleveur français qui avait, sans doute, remporté les plus nombreux succès avec mes chevaux durant ces trente dernières années. Je n’avais jamais fait de comparaison avec les autres principaux éleveurs en ces termes, mais finalement, sans fausse modestie, peut-être ont-ils raison. Si d’autres éleveurs ont eu de tels résultats, ils ne sont pas très nombreux, je dois l’avouer, de plus il y a de bien plus gros élevages que le mien, faisant naître de cinquante à cent foals par an.

Des souches maternelles finement choisies

Dans le cadre de son bilan, Bernard Le Courtois revient sur son point de départ : la sélection de ses souches maternelles. “La sélection de mes reproducteurs de grande qualité a été l’un des atouts de mon élevage. J’ai travaillé sur plusieurs souches maternelles, notamment celles d’Adoret (Almé), Almandine (Almé), Jolie Mome (Almé), Jessica D (Almé), Historiette (Barigoule aa) et Nighty Fontaine (Dark Tiger, PS).” L’éleveur ne manque pas de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur et affiche un joli palmarès. “Toutes ces bonnes juments ont engendré le formidable panel de champions que j’ai eu l’honneur et la joie de produire : le champion des 4 ans Delstar Mail, le champion des 5 ans Catchar Mail, deux champions des 6 ans Hoggar Mail et Katchina Mail, plusieurs champions Hunter, en ce qui concerne les jeunes chevaux. Quant aux chevaux de haut niveau, un champion de France Alligator Fontaine, plus gros indice des étalons à ce jour (ISO 190), un finaliste des Jeux Olympiques, Jaguar Mail, à Hong Kong 2008 (cinquième par équipe pour la Suède), également vainqueur du Sire of The Year 2007, une vice-championne du Monde Katchina Mail avec l’équipe de France aux WEG de Lexington 2010, deux finalistes de la Coupe du monde : Katchina Mail, onzième à Genève en 2010, et Ornella Mail*HDC, quatorzième à Den Bosch en 2012, et en concours complet, Jessy Mail, aux championnat d’Europe 2009, Risotto Mail, champion des 7 ans, Tresor Mail, médaillé de bronze par équipe aux championnats du Monde de Tryon en 2018. J’ai fait naître ou élevé une bonne quinzaine de chevaux de CSI-W et CSIO 5*: Alligator Fontaine, Chergard Mail, Fersen Mail, Frascator Mail, Hoggar Mail, Ikat Mail, Jaguar Mail, Katchina Mail, Moon Mail, Cadeau Z, Ornella Mail, Quarto Mail, Ramita Mail, Sahel Villa Rose, Catchar Mail, Candar Mail. J’ai aussi produit pléthore de bons gagnants en CSI et CCI de niveau 2*, 3*ou 4* exportés au quatre coins du monde. Tout cela avec en moyenne une quinzaine de naissances par an. J’en profite pour remercier l’entourage de tous ces chevaux formidables, leurs cavaliers bien sur et leurs grooms. J’ai aussi tenté de faire une sélection originale et qualitative dans mes choix d’étalons que j’ai acheté ou fait naître tout au long de ma carrière d’étalonnier, sans pouvoir non plus investir des fortunes. Après Laudanum et Almé qui ont lancé ma carrière, il y a eu le fameux Pur-Sang américain Hand In Glove, qui a produit des chevaux finaliste aux JO, aux championnats du monde, plusieurs champions du monde, notamment en CCI, puis Quite Easy (classé régulièrement dans le Top 100 des étalons en CSI ou CCI), Quality Touch, Utrillo vd Heffinck et tous les étalons portant l’affixe Mail, de Fergar Mail, étalon fondateur au haras La Silla, à Jaguar Mail, numéro un mondial des étalons de CCI en 2021, tous pères de champions internationaux, jusqu’aux derniers en date, Catchar Mail et son frère Delstar Mail. Je pense que mes étalons ont eu leur part de succès grâce aux nombreux éleveurs qui m’ont fait confiance durant toutes ces années et ils ont beaucoup apporté à la sélection du cheval de sport à travers le monde et ils vont continuer de le faire. Je suis fier de tous ces champions et de tous les autres chevaux nés à Brullemail, dont la plupart ont rendu heureux leurs cavaliers amateurs ou professionnels ou bien les éleveurs qui ont élevé avec mes lignées maternelles. Cela fut une immense joie de pouvoir suivre mes chevaux dans les plus beaux concours du monde pendant toutes ces années. Je me dis que parmi les foals que j’ai fait naître ces dernières années jusqu’à ceux de 2024 qui commencent à naître maintenant, certains me donneront encore le bonheur de les voir gagner à haut niveau dans les années à venir. Même si je vends le haras de Brullemail dans l’année à venir, mon histoire, grâce à eux, va se perpétuer encore un bon moment !

Encore un peu d’élevage

Pour autant, Bernard Le Courtois ne délaissera pas totalement l’activité d’élevage. Mais, dans les années à venir, ce sera auprès des canidés qu’il trouvera de l’occupation. Il ne délaissera pas pour autant la sphère équestre : “Comme vous le savez, avec Christopher, nous avons également un élevage de chiens (Mastiff et Cairn Terrier) et une sélection qui remportent beaucoup de succès, que nous avons commencé il y a 25 ans. Cela va nous occuper à plein temps, là où nous choisirons de vivre. Puis, je ne vais pas oublier les chevaux du jour au lendemain, évidemment. Je vais pouvoir les suivre davantage, j’aurai plus de temps ! Je vais sans doute conserver mon activité de ventes de saillies dans les années à venir, avec l’aide d’un agent car j’ai des cuves pleines de paillettes de nombreux étalons. Et j’ai aussi une activité qui me plait beaucoup, c’est celle de juge de chevaux, comme de chiens, et les invitations à juger, notamment à l’étranger, me procurent beaucoup de plaisir. J’ai jugé les chevaux ou les chiens dans de très nombreux pays depuis toutes ces années et cela va continuer. C’est aussi une façon de partager mes connaissances et mon expérience. La sélection est définitivement ma vocation, c’est inscrit dans mes gènes !

Crédit photo à la une: Coll. privée