Césarienne, l’opération de la dernière chance
Réaliser une césarienne sur une poulinière n’augure généralement rien de bon. Cette opération est délicate et les éleveurs contraints d’y avoir recours sont lucides sur les potentielles issues défavorables. Lorsque Véronique a compris qu’il était vital de réaliser une opération de ce type sur sa jument, elle a heureusement pu compter sur le professionnalisme, la réactivité et la solidarité de ses vétérinaires.
Véronique Ellena gère une pension équestre dans le Gers, qu’elle a baptisée Au Galauzoue, du nom de la rivière – L’Auzoue – qui passe non loin de là. “J’ai longtemps été monitrice dans des centres équestres, salariée, et puis j’ai décidé un jour d’ouvrir ma propre structure”, indique la gérante. “Je suis installée depuis vingt ans. Je suis passée par une activité de ferme pédagogique, puis je me suis recentrée sur l’activité équestre, avec des pensions et de la location de chevaux. je fais aussi un peu d’élevage, par passion.” Véronique possède une jument, Sophy (Charleston du Cap), dix-sept ans, qui lui a donné un premier produit il y a quatre ans. “Le premier était un poney et l’an dernier, j’ai décidé de lui mettre Trésor Mail. Autant dire que j’attendais vraiment avec impatience ce poulain.” La gestation de Sophy, petite-fille de Quidam de Revel, se déroule sans accroc. “Elle l’a vécue en troupeau, et devait être à terme le 24 mars.” Aux environs de cette date, la jument commence à montrer les premiers signes d’une mise bas qui approche. “Elle s’est mise à cirer et je l’ai donc rentrée en stabulation pour qu’elle soit à l’aise et pouvoir plus facilement la surveiller.” Mais rien ne se produit et Sophy montre son envie de retourner auprès de ses congénères, ce que Véronique lui permet. “Le 3 avril, j’ai appelé ma vétérinaire, Virginie Cunnac, pour qu’elle vienne réaliser une visite de contrôle. Depuis trois jours, je voyais que la jument était un peu agitée et je ne voulais pas passer à côté de quelque chose.” La vétérinaire ne décèle rien d’anormal mais, le lendemain, Véronique observe que sa jument adopte un caractère qui l’inquiète. “Elle se couchait, se relevait, se roulait, elle avait les oreilles en arrière et n’était pas sereine. Ma vétérinaire est revenue et elle a rapidement pensé à une torsion d’utérus. Elle a appelé son collègue, Alain Colnat, qui pratique en milieu rural et avec lequel je travaillais régulièrement au temps de ma ferme pédagogique. Il a confirmé le diagnostic de Virginie. Tous les deux m’ont dit qu’il fallait emmener Sophy à la clinique du cheval, à Toulouse.” Véronique commence alors à atteler son van. Mais lorsque les deux vétérinaires lui indiquent le coût que va représenter la césarienne, elle s’effondre.
Une décision courageuse et une opération délicate
“Lorsque j’ai choisi de m’installer, j’ai aussi choisi les emprunts qui courent jusqu’à ma retraite”, pointe Véronique. “Quand Alain et Virginie m’ont annoncé que l’opération allait me coûter aux environs de 8000 euros, j’ai compris qu’il allait falloir que je choisisse entre la vie de ma jument et ma structure. J’ai vraiment été paniquée par l’urgence de la situation et mon incapacité à ne pouvoir agir pour Sophy. Je crois qu’Alain et Virginie ont vu ma détresse. Ils ont alors décidé de procéder à cette opération ensemble, sur place. Je crois qu’ils ont compris que personne d’autre ne pouvait me tendre la main dans pareille situation.” Le temps de préparer le matériel, Sophy est sédatée, l’opération se prépare. “Nous étions cinq, les deux vétérinaires, leur assistante, ma soeur et moi. Virginie n’avait jamais fait de césarienne, Alain uniquement sur des vaches. L’intervention a eu lieu avec la jument debout. Lorsque Sophy, que je tenais, était suffisamment sédatée, ils ont sorti le poulain, qui était vivant. Il était 17 heures. C’était une première victoire, même si je voyais bien que l’intervention était particulièrement délicate : il fallait retenir les organes de Sophy, ne pas provoquer d’hémorragie. Ma sœur est venue me seconder et je me suis occupée de la pouliche. Les vétérinaires ont recousu Sophy, ce fut un long travail, et la surveillance a commencé. Elle est peu à peu sortie du brouillard… Pendant ce temps, nous avons donné un biberon à la pouliche après avoir trait la jument. À 21 heures, la pouliche a tété sa mère. Elle avait bon œil, on s’est dit que c’était gagné pour elle. Je suis restée toute la nuit avec Sophy et sa pouliche. Cette dernière était vive, elle bougeait bien. Sophy allait bien elle aussi, occupée par son rôle de mère.”
Une surveillance accrue
Le lendemain, première alerte : Sophy se couche et se met à transpirer abondamment. “Elle a expulsé ce que je pensais être l’utérus. Il s’agissait finalement du placenta, une grande partie était restée à l’intérieur d’elle”, détaille Véronique. “Elle a eu du mal à se remettre debout et y est finalement parvenue.”
Dans les jours qui suivent l’opération, Véronique reste vigilante et très attentive à l’état de sa jument. “J’ai procédé à des soins tous les jours et j’ai remarqué qu’il y avait des écoulements au niveau des pansements. Une partie de la zone ouverte semblait bien cicatriser, l’autre beaucoup moins et des tissus semblaient se nécroser. Les vétérinaires m’ont indiqué qu’il fallait songer à poser des drains si les écoulements continuaient.” Une dizaine de jours après l’opération, nouvelle intervention pour Sophy : les vétérinaires enlèvent les pansements et vérifient la cicatrice. “Nous avons de nouveau endormi Sophy pour poser les drains”, relate Véronique. “Pendant l’intervention, elle s’est effondrée, elle tremblait. Elle restait cependant présente et tournée vers sa pouliche auprès de laquelle elle hennissait. Nous lui avons posé une perfusion de glucose et les vétérinaires ont nettoyé les plaies, posé les drains et l’ont recousue.” Depuis ce jour, l’état de santé de Sophy évolue favorablement et Véronique peut compter sur le soutien de ses propriétaires, qui l’ont accompagnée dans cette épreuve.
Un verdict définitif dans quinze jours
Si l’histoire de Véronique Ellena et de Sophy semble trouver une issue favorable, la césarienne sur poulinière reste une opération très délicate à pratiquer. “Il y a beaucoup plus de risques d’infections quand on pratique une césarienne sur une jument que sur une vache, par exemple”, détaille Virginie Cunnac, vétérinaire. “L’air environnant, pas stérile, peut contenir des germes et entraîner une péritonite, infection au niveau abdominal. De plus, chez une vache, les organes, et notamment les intestins, peuvent être retenus beaucoup plus facilement que chez un cheval, nous avons un accès plus facile vers l’utérus chez les bovins que chez les chevaux. Il y a toujours un risque d’hémorragie, de choc septique. Pour Sophy, nous avons sédaté la jument mais elle est restée debout, avec le risque qu’elle se couche ou qu’elle fasse un choc toxique. Ce n’est pas une chose courante que de réaliser une telle opération, et j’ai pu bénéficier de l’expertise de mon confrère, Alain Colnat. Nous n’avons pas été trop de deux pour pratiquer cette intervention, d’autant qu’il faut gérer le poulain lorsqu’il arrive, la jument et donner des indications aux personnes qui nous assistent, qui ne sont pas des professionnels et moins nombreux qu’en clinique.” Virginie Cunnac indique que la jument est solide et qu’elle a bon espoir pour la suite, même si des complications peuvent encore survenir. “Avec le traitement, qui comporte des anti-inflammatoires et des antibiotiques, il y a des risques de coliques par exemple”, poursuit la vétérinaire. “Sophy a une infection au niveau de la plaie musculaire et les soins locaux devraient encore durer un peu, mais jument et pouliche sont là, et cet épisode se finit bien. Je pense que dans quinze jours, on pourra dire que Sophy est complètement sortie d’affaire.”
Photo : Sophy et son poulain. Crédit : Coll.