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L’Expertise

Colostrum, le précieux breuvage

Béatrice Fletcher 27 avril 2023

Le colostrum est un élément indispensable à l’immunité du poulain dans les premières heures de sa vie. Quelles sont ses propriétés ? Comment évaluer sa qualité ? Que faire si la jument est dans l’incapacité de le transmettre ? Eléments de réponses.

À la naissance, le poulain est dépourvu d’anticorps, car le placenta de sa mère ne les laisse pas passer vers le sang du fœtus pendant la gestation. En attendant l’âge de deux mois, où il produira ses propres anticorps, le poulain est totalement tributaire de ceux fournis par sa mère par l’intermédiaire du colostrum qu’elle produit au cours des deux à quatre dernières semaines de gestation et dans les premières heures suivant la naissance, en réponse aux changements hormonaux de la glande mammaire. 

Cette sécrétion lactée, épaisse et jaune également appelée “premier lait”, contient des anticorps ou immunoglobulines G ou IgG, nécessaires pour protéger le poulain contre les maladies et infections. Il doit la consommer idéalement dans les six à huit heures suivant sa naissance ou, au plus tard, durant ses douze premières heures de vie, car les anticorps passent dans le système sanguin du poulain grâce à la perméabilité de sa paroi intestinale, un processus d’une durée de moins de vingt-quatre heures connu sous le nom de “transfert immunitaire passif” de la jument au poulain. Particulièrement riche en éléments nutritifs, vitamines, minéraux et antioxydants, le colostrum, produit par la jument à hauteur d’un litre à un litre et demi, détient également des propriétés laxatives qui aident le jeune à expulser le méconium (premiers crottins) des intestins.

Un liquide à la qualité mesurable

Un colostrum de bonne qualité contient un taux d’anticorps d’au moins 60 grammes par litre. Il est de qualité moyenne si ce taux est compris entre 30 et 60 g/l et de mauvaise qualité s’il est inférieur à 30 g/l. Le réfractomètre, ou Colotest conçu par l’IFCE, instrument de mesure optique simple d’utilisation (disponible à partir de quarante euros) permet d’évaluer en quelques secondes la richesse du colostrum, car sa concentration en anticorps modifie la réfraction de la lumière. Il suffit de prélever quelques gouttes de colostrum, de les verser sur le prisme de l’appareil, de l’orienter vers une source de lumière, puis de lire dans l’oculaire sur l’échelle de graduation le taux d’IgG en g/l de la sécrétion.

Optimiser la qualité

Pour obtenir un colostrum, puis un lait de bonne qualité, il convient d’augmenter légèrement les rations de la poulinière dans les trois derniers mois de sa gestation, de lui fournir des compléments riches en protéines, équilibrés au niveau des acides aminés essentiels, tout en veillant à l’équilibre phosphocalcique et à l’apport en vitamines liposolubles A, D3 et E, sans pour autant provoquer un engraissement excessif qui pourrait compliquer le poulinage. Par ailleurs, afin que les anticorps présents dans le colostrum soient adaptés aux microbes de l’environnement, la jument doit y être présente depuis au moins trois semaines, faute de quoi l’efficacité de l’immunisation du futur poulain risquerait d’être limitée. Pour que la protection soit complète, il convient de renforcer la vaccination de la jument deux à six semaines avant le poulinage, afin de permettre un passage maximum d’anticorps au nouveau-né, ce qui permettra d’attendre que le poulain soit âgé de six mois pour lui administrer sa primo vaccination grippe-tétanos. La quantité idéale de colostrum absorbée par le poulain correspond à 250 millilitres par heure, pendant les six premières heures de sa vie, soit environ 1,5 litre au total, selon la richesse de la sécrétion et la taille du poulain.

Que faire en cas de problème ?

Dans certaines situations, le nouveau-né est dans l’incapacité d’absorber l’indispensable colostrum. C’est le cas si le poulain est trop faible pour se lever et téter, que sa mère refuse de le laisser accéder à ses mamelles, voire malheureusement si elle décède durant ou immédiatement après le poulinage. Il faut alors agir vite : si possible, traire la poulinière, même décédée, récupérer le colostrum, le mettre dans un biberon équipé d’une tétine de deuxième âge (aux trous plus importants) ou d’une tétine pour agneau ajustée sur le goulot d’une bouteille, puis le faire absorber au poulain. Si le nouveau-né n’a pas de réflexe de succion, testé par un doigt dans la bouche, il faut alors demander au vétérinaire d’administrer le liquide à l’aide d’une sonde nano-œsophagienne.

Différentes solutions à portée de main

Dans l’idéal, le poulain doit absorber 150 à 250 millilitres de colostrum toutes les heures. Si cette solution n’est pas envisageable, il existe sur le marché des colostrums artificiels ou de substitution, présentés sous diverses formes, notamment lyophilisés. Il est vivement conseillé d’en vérifier la composition et de consulter son vétérinaire pour s’assurer qu’elle est conforme aux besoins du poulain, même si, dans tous les cas, le produit de substitution ne peut être aussi bien adapté aux germes de l’environnement que celui produit sur place par la poulinière. À l’évidence, ces produits sont à commander en amont du poulinage pour en disposer en cas de besoin. 

Autre solution, pratiquée notamment par la clinique de Grosbois : administrer en intraveineuse au poulain du plasma hyper-immun, constitué à partir du sang de chevaux donneurs et concentré en immunoglobulines pour compenser le manque d’anticorps. 

Ultime solution : faire adopter le nouveau-né par une mère qui aurait perdu son poulain au même moment, un service que propose SOS Poulains, qui publie les annonces de mères allaitantes ayant perdu leur poulain ou de nouveaux nés orphelins, ou encore Bénédicte Barrier, qui s’est spécialisée au haras de la Cour du Chasseur, sur la commune du Pin-au-Haras (61), dans l’adoption de poulains il y a une quinzaine d’années.

Constituer une banque de colostrum

Pour parer aux aléas du poulinage et anticiper d’éventuelles difficultés, il est possible de constituer sa propre réserve de colostrum, qui est la solution la plus efficace et la moins onéreuse pour sauver la vie d’un poulain. Cette pratique existe au sein d’élevages importants, mais aussi d’un secteur ou d’une région sur le principe de solidarité. Certaines précautions s’imposent avant de procéder à la collecte du précieux liquide. Seules les juments reconnues comme bonnes productrices et en parfaite santé peuvent faire office de donneuses. Il faut procéder à la collecte uniquement si le colostrum est en quantité suffisante pour les besoins du nouveau-né, et que sa qualité, mesurée grâce au Colotest, est supérieure à 60 g/l. Si sa concentration est inférieure, le colostrum ne mérite pas d’être conservé et doit être laissé intégralement au poulain. Il convient également d’être particulièrement vigilant sur le procédé de collecte et l’hygiène du matériel. Avec des mains parfaitement propres ou des gants, nettoyez la mamelle du bas vers le haut avec un savon doux sans parfum ou à l’aide de lingettes conçues à cet effet. Séchez la ensuite avec un papier absorbant à usage unique, et éliminez les trois premiers jets de colostrum, souvent plus contaminés. Une fois que le poulain a tété, prélevez 250 millilitres sur l’une des mamelles,  filtrez et conditionnez le dans un flacon dûment étiqueté (nom de la jument, date de collecte, concentration en anticorps) et congelez le au plus vite à – 20°C. Il peut être conservé au maximum un an. Pour l’utiliser, décongelez le au bain-marie à 40 °C maximum, car les anticorps, fragiles, seraient détruits par l’ébullition ou le micro-ondes.

L’avis de l’éleveur

Laurent Vignaud, éleveur et attaché au Pôle Développement Innovation Recherche de l’IFCE, l’indique, certains vétérinaires collectent le colostrum auprès des éleveurs afin de disposer de réserves. « Pour s’assurer que le poulain bénéficiera d’un colostrum de qualité, il vaut mieux le tester systématiquement à la naissance. Plus il ressemble à du lait, moins il est de qualité. En dessous de 60 g/l, inutile de le collecter ou de le congeler. Pour être certain du degré d’immunité du poulain, le tester à 36 heures à l’aide d’un kit disponible dans le commerce (Snap Foal ndlr), ce qui évite des complications dans les premières semaines, car le poulain est très sensible aux germes environnants, comme par exemple lorsqu’il accompagne sa mère dans un centre d’insémination. » 

Si, en France, le principe de la banque de colostrum reste du domaine individuel, l’Italie présentait le 22 mars dernier sa toute nouvelle “Banca Colostro Equino”, résultat de trois années de collaboration de diverses universités, chercheurs et éleveurs, grâce à un soutien financier de 470 000 euros destiné à améliorer la rentabilité des élevages équestres de la région des Pouilles.

Photo : Pixabay.