L'E
L’Expérience

Devenir étalonnier, une peine perdue ? 

Sylvia Flahaut 25 février 2024

En 2022, le stud-book Selle Français a approuvé cent-dix-sept étalons, dont un peu plus de cinquante de deux et trois ans. La grande majorité saillira peu, tandis que d’autres, bénéficiant d’une force marketing importante, serviront de multiples juments. À contre-courant des grandes sociétés d’étalonnage, un amateur ou un petit éleveur peut-il garder un mâle et espérer tirer profit de sa carrière de reproducteur ? 

Si de multiples éleveurs amateurs font naître par passion, parfois pour commercialiser avec une visée sportive, certains, quand ils accueillent un beau mâle, se posent sans nul doute la question de le garder étalon et de le présenter sur les circuits de valorisation et d’approbation. Et, peut-être, par la suite, en faire un reproducteur à succès. Une décision qui n’est pas sans conséquences et qui impose d’être installé dans une structure adaptée ou de confier ledit mâle à un professionnel, qui le préparera en vue de ces perspectives. Cet investissement financier en vaut-il cependant encore la chandelle aujourd’hui, à l’heure où la grande majorité des étalons produit peu et où le marketing est incontournable dans la gestion de carrières des reproducteurs ? 

Une sélection rigoureuse, une préparation à ne pas négliger

Si vous hésitez à garder votre poulain entier en vue de le faire approuver au sein du stud-book Selle Français, via le circuit de la voie mâle, ou chez Zangersheide par exemple, la prise en compte de certains critères semble incontournable. Laurent Vignaud, juge au sein du stud-book Selle Français, indique que le circuit de sélection est ouvert à tout le monde, professionnels et amateurs, mais qu’il convient de présenter un jeune mâle lorsque celui-ci est doté de certaines qualités. « Chaque année, environ quatre cents jeunes étalons sont présentés, quatre-vingts sont retenus pour la finale et vingt-cinq sont approuvés », détaille le juge. « Il y a donc un écrémage important et c’est normal, car on sélectionne des individus qui vont transmettre leurs gènes et donner naissance aux chevaux de demain. Le stud-book, pour donner ses approbations, a donc des attentes. Pour présenter son étalon sur le circuit, il faut idéalement qu’il ait une bonne conformation, du look, aucun défaut d’aplomb, qu’il se déplace bien et qu’il ait une belle qualité de saut. S’il a un bon pedigree, c’est bien, mais cela entre en compte un peu plus tard, généralement lors de la finale. Mais il faut garder à l’esprit qu’un bon pedigree sera un bon point pour l’éleveur qui cherche à quel étalon mettre sa jument : beaucoup sont regardants sur les lignées des mâles qu’ils sélectionnent. » Du chic, de belles allures, un joli modèle, un coup de génie sur le saut et un bon papier : voilà les ingrédients pour espérer se faire remarquer sur le circuit de sélection des mâles du stud-book Selle Français et, peut-être, quelques mois après la première étape des qualifications, obtenir le saint-Graal de l’approbation.

Une activité qui s’improvise difficilement

Mais, une fois l’approbation tant convoitée obtenue, est-il possible, en tant qu’amateur, d’endosser le costume d’étalonnier ? « Vouloir tout faire par soi-même, quand on est un éleveur amateur, ce n’est pas simple », poursuit Laurent Vignaud. « Préparer l’étalon, le valoriser, en assurer ensuite la distribution… C’est un ensemble de choses qui peut être complexe pour quelqu’un qui n’a pas la structure et pas forcément le savoir-faire. C’est une activité spécialisée, il faut produire les doses, les envoyer avec des contraintes sanitaires très spécifiques, gérer le côté administratif avec les contrats de saillie et être particulièrement bon sur la communication et le marketing pour donner de la visibilité à son mâle. Pour moi, quand on est amateur, c’est très compliqué de devenir étalonnier. Les activités au sein de notre filière se sont professionnalisées depuis quelques années, et il y a donc une spécialisation des tâches. On ne s’improvise pas spécialiste. »Et Laurent Vignaud estime qu’en deçà de vingt cartes de saillie vendues chaque année, l’activité, en ce qu’elle exige d’investissements et de temps, n’est pas rentable. « Le prix de la semence, en vingt ou trente ans, ne me semble pas avoir augmenté. Prenez Papillon Rouge : de mémoire, la saillie coûtait 20 000 francs à l’époque. Aujourd’hui, les étalons les plus prisés, tels Mylord Carthago ou Diamant de Semilly, ne dépassent pas 3 000 euros. On est donc sur une équivalence. Ce qui a flambé, en revanche, ce sont les frais techniques. » Outre le Groupe France Élevage et France Étalons, indéniablement les deux poids lourds du secteur avec environ soixante-quinze étalons pour le premier et une soixantaine pour le second, les Haras de Semilly, de Clarbec, Bois Margot, Beligneux le Haras ou encore Genetiqu’Anglo cohabitent dans le paysage des étalonniers. Tamerville et le Haras d’Elle, structures un peu plus restreintes, également. La plupart de ces derniers haras reposent sur des activités familiales au savoir-faire et à l’expérience indéniables, qui ont traversé les années et présentent des catalogues qualitatifs. 

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Crédit photo à la une: Les Garennes