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L’Expérience

Didier Dupeyrat : « Je ne cherche pas l’étalon qui me plaît le plus, mais celui qui va le mieux convenir à chacune de mes juments »

Eperon 27 mars 2023

À la tête du haras et de l’élevage Grez Neuville depuis près de quinze ans, Didier Dupeyrat, ancien cavalier de saut d’obstacles, complet mais aussi de dressage, fait chaque année naître pour les trois disciplines, mais principalement pour la dernière. Véritable passionné et amoureux de ses chevaux, l’éleveur installé dans le Maine-et-Loire a une philosophie bien à lui, basée sur le respect et l’adaptation.

Combien de poulains faites-vous naître chaque année ?

Je fais naître à peu près six poulains par an : quatre ou cinq pour le dressage, un pour l’obstacle et un pour le complet. Mais je fais partie de ces éleveurs qui laissent des temps de repos à leurs poulinières. Elles font deux poulains puis ont le droit à une pause d’un an. Je considère qu’elles ne sont pas des machines et que quand elles ont fait deux années de gestation, elles ont le droit à un an de repos. Ensuite, quand elles vieillissent et atteignent l’âge de quinze ans, elles ne font un poulain qu’une année sur deux. Ma poulinière de complet, par exemple, a donné naissance à un gros poulain, cela l’a vraiment secouée et je me vois mal, dans trois semaines, la remettre à la saillie. Évidemment, chacun fait ce qu’il veut, mais chez moi, c’est comme ça. Mes poulinières, c’est ma vie, mon capital génétique et elles m’ont tout donné. C’est à elles que je dois la notoriété de mon haras, c’est grâce à elle que je me suis fait connaître. Je me dois de les respecter.

« Je m’attache plus au modèle et à la locomotion des chevaux qu’à leurs origines »

Sur quelles souches maternelles s’appuie votre élevage ?

Je suis un amoureux des chevaux qui ont du sang. J’ai donc une Pur-sang, réformée de courses, que j’avais achetée lors d’une vente aux enchères. Elle était présentée au saut en liberté et était inarrêtable. Elle sautait l’obstacle de manière incroyable, les oreilles en avant et sans qu’on n’ait besoin de la pousser, alors qu’elle n’avait fait ça que lors d’une seule séance d’essai. C’est ce côté guerrier qui m’a d’abord plu chez Rue de l’Étoile (Olympic Boy, PS). Cette jument, je l’ai utilisée pour faire des chevaux de complet. Son deuxième poulain, Darmani Grez Neuville (Conrad, Holst), tourne actuellement en CCI4*-S avec Hélène Vattier et va certainement débuter les CCI4*-L ou CCI5*-L cette saison ou la suivante. Darmani a une propre sœur, Chanel Grez Neuville, qui sautait vraiment très, très bien mais qui n’a pas fait de concours, que j’ai gardé à l’élevage et qui produit des chevaux de saut d’obstacles. Je l’ai notamment croisée avec Chilli Willi, Holst, qui est pour moi le meilleur fils de Casall, Holst, et de ce croisement est né Karl de Grez Neuville, qui a été vice-champion des mâles jeunes il y a deux ans. Pour les chevaux de dressage, je voulais partir avec une souche étrangère reconnue donc j’ai choisi une jument par Gribaldi, Trak, et Rosenkavalier, Westf, Whatelse de Saint Val, KWPN. C’est elle qui m’a donné Famous Grez Neuville (Negro, KWPN), qui a été champion de France et champion suprême à deux ans, agréé étalon Selle Français et labellisé France Dressage, ainsi que vice-champion de France à trois ans. Il commence sa carrière de reproducteur mais ne pourra malheureusement pas faire de sport de haut niveau suite à une blessure au grasset. Ma fille le monte néanmoins, notamment en saut d’obstacles puisqu’il saute très bien. Il produit environ dix poulains par an et tous les ans, certains sont présents à la Grande Semaine de l’élevage avec des résultats tout à fait intéressants. Il est agréé pour produire en Selle Français et en CDF. À partir du croisement Negro, KWPN x Gribaldi, Trak, j’ai également eu GEM Grez Neuville, qui a été sacrée vice-championne de France à deux ans et a ensuite débuté sa carrière de poulinière chez moi car je voulais garder deux filles de Whatelse, elle et Darling Grez Neuville. Elle a eu au total huit poulains, dont celui qui sera son dernier, Lancome Grez Neuville (Jameson RS2, KWPN). Whatelse est désormais à la retraite, bichonnée chaque jour à la maison. Ma troisième souche est celle de Youssirone. Quand j’ai commencé à faire naître des chevaux de dressage, j’ai eu envie de le faire à partir d’une des composantes du Selle Français. À ce moment-là, je n’ai pas trouvé ce qui me convenait en Selle Français, cependant, un jour, lors de la même vente aux enchères que celle où j’ai acheté Rue de l’Étoile, j’ai acheté Youssirone, qui est une Anglo-arabe de courses. Elle bougeait tellement bien ! J’ai adoré son geste des postérieurs, très en dessous, rapide, dynamique, et dès qu’elle bougeait, elle était montante. Je lui ai fait faire des poulains et comme elle était petite, je l’ai croisée avec Don Juan de Hus, KWPN, avec qui elle m’a fait trois produits : Dior de Grez Neuville, qui a gagné les Cycles libres à cinq ans et s’est classé sixième des Cycles classiques à six ans avant d’être vendu, Emporio Grez Neuville, qui a fait les Cycles classiques à quatre ans, les Cycles libres à cinq ans et qui devrait bientôt apparaître sous la selle d’un cavalier national, ainsi que Fidji Grez Neuville, qui, elle, n’a pas concouru car je l’ai gardée à l’élevage. J’ai donc une souche Pur-sang pour les chevaux de complet et de saut d’obstacles, ainsi qu’une souche KWPN facteur de Selle Français et une souche française pour le dressage. Ce n’est pas vraiment chose commune et d’ailleurs, quand j’ai commencé à faire naître des chevaux de dressage avec Youssirone, tout le monde m’a dit que j’étais à côté de la plaque. Mais j’avais ça en tête, elle avait les qualités que je voulais et, aujourd’hui, ses poulains performent sur les terrains. Et puis, il faut savoir que les Allemands ont aussi construit leur stud-book à partir de sang anglo-arabe, que l’on retrouve notamment chez la multi-médaillée Bella Rose (Belissimo M, Rhein). C’est aussi pour cela que j’ai tenu à garder Fidji à l’élevage, je voulais qu’il y ait de l’Anglo-arabe en deuxième génération. Et déjà, en première génération, cela m’a donné des produits extraordinaires. Avec Famous, Youssirone m’a notamment donné un produit qui est actuellement au débourrage, Kenzo Grez Neuville, et j’ai trouvé qu’elle croisait très bien avec Don Juan de Hus. Je suis donc allé chercher son sang, et elle a fait un très beau produit qui s’appelle Lanvin Grez Neuville (D’Avie, Hann, champion du monde à six et sept ans). J’en attends d’ailleurs un autre de Youssirone et D’Avie dans les jours à venir. Je m’attache d’ailleurs plus au modèle et à la locomotion des chevaux qu’à leurs origines. Je suis juge de Modèle et allures pour le stud-book Selle Français et France Dressage et l’abaissement des hanches, l’engagement des postérieurs ainsi que l’orientation des juments m’importent plus que leurs papiers.

Avez-vous fait vos choix d’étalons pour cette année ?

Je ne cherche pas forcément l’étalon qui me plaît le plus, mais celui qui va le mieux convenir à chacune de mes juments. J’essaie de réfléchir au maximum mes croisements. Pour Fidji, l’année dernière, j’avais choisi Springbank II VH, un étalon danois qui présente de très bonnes allures, qui a un très joli modèle montant et, surtout, qui transmet à ses poulains un excellent caractère. Ce dernier point est très important pour moi car des chevaux qui bougent très bien, il y en a plein, mais des chevaux qui bougent très bien et qui se laissent dresser, c’est surtout ça qui est recherché. Le mental de l’étalon est, selon moi, très important. Quand je me rends à des show d’étalons, évidemment, je regarde les allures, mais aussi le contact que le cheval a avec le cavalier, la main de ce dernier, l’œil du cheval, s’il est content de travailler ou non, etc. Tout cela, ce sont des choses déterminantes dans mes choix. Un bon cheval de dressage, c’est un cheval qui se laisse dresser. Les chevaux avec des sur-locomotion, qui vont mettre tout leur talent contre leur cavalier, ne feront pas de résultats. Donc le mental doit vraiment primer dans la sélection. L’an passé, j’avais également choisi Revolution, Westf, pour Darling, mais la gestation n’a malheureusement pas été à son terme. Gem est quant à elle pleine de Jovian, KWPN, et Riviera est pleine de Kjento, KWPN, double champion du monde à six et sept ans. Je choisis des étalons qui ont au moins montré sous la selle qu’ils pouvaient performer sur un rectangle. Je ne vais pas souvent vers de jeunes étalons qui font le buzz, j’attends de voir ce qu’ils vont donner sous la selle. En ce qui concerne Rue de l’Etoile, elle a récemment donné naissance à un fils de Jilbert van’t Ruytershof*GFE, Bwp, tandis que Chanel va pouliner d’I Am Special de Muze, Bwp. Je ne cherche pas forcément des étalons performer, mais améliorateurs. Pour les saillies de cette année, Darling ira à Jovian, et pour les autres, j’attends de voir ce qu’elles vont me donner. Si je suis satisfait du poulain, j’en referai peut-être un autre à partir du même croisement. Je me dis que si je trouve quelque chose qui fonctionne bien, parfois, il ne faut pas chercher à tout réinventer. C’est aussi une stratégie commerciale : quand j’ai un cheval qui performe, je peux dire que j’en ai un autre issu du même croisement.

Que recherchez-vous dans vos croisements ? Quels atouts cherchez-vous chez un poulain ?

Mes chevaux doivent avoir du sang. On ne fait pas de chevaux pour le haut niveau sans avoir du sang. Pour faire piaffe-passage et tous les mouvements du Grand Prix, c’est primordial. Il faut également qu’ils aient de la force, notamment dans l’arrière-main, une orientation très montante, une très belle sortie d’encolure puisque c’est cela qui permet le balancier et donc l’équilibre, des allures et un bon caractère.

 Crédit photo : Coll.