Jeanne Sadran, en route vers la finale du circuit Coupe du monde
À seulement vingt-deux ans, Jeanne Sadran se fait petit à petit une place parmi les meilleurs cavaliers mondiaux. Preuve en est, sa superbe deuxième place dans le Grand Prix Coupe du monde de Bordeaux en février dernier avec l’excellent Dexter de Kerglenn. Au coeur d’un système bien rodé mais avec une maturité déconcertante, la jeune femme s’est confiée au micro de L’Eperon au sujet de son début de saison, son organisation et ses objectifs.
Il y a encore quelques jours, avant de fouler la piste du Saut Hermès, vous étiez à Doha, où vous avez passé plusieurs semaines depuis le début de l’année. Comment s’est, pour vous et vos chevaux, passé cette tournée de compétitions ?
C’était une très bonne tournée. Cela fait maintenant six ans que je vais presque chaque année à Doha, et je connais donc bien le site. Cette fois-ci, mes chevaux et moi y sommes restés six semaines : trois semaines en janvier, puis de nouveau trois semaines en février. Entre temps, je suis rentrée en Europe pour participer aux étapes Coupe du monde d’Amsterdam et de Bordeaux. Cela, afin de glaner encore quelques points pour essayer de me qualifier pour la finale du circuit. Ces quelques semaines à Doha ont été vraiment bénéfiques pour mes chevaux, autant pour les plus jeunes que pour les plus âgés. Tous ont pu prendre de l’expérience et évoluer, notamment les jeunes. C’était important pour moi car, comme je fais beaucoup de très haut niveau, le temps me manque parfois pour continuer à former les jeunes. Le fait qu’un CSI2* ou CSI3* soit toujours organisés en parallèle des CSI5* à Doha était donc une bonne opportunité.
Quelle place ont d’ailleurs les jeunes chevaux dans votre système ?
J’ai commencé le haut niveau grâce à des chevaux très expérimentés comme Vannan (Diamant de Semilly) et Unforgettable Damvil (Corrado I, Holst), qui m’ont permis de passer un réel cap. Aujourd’hui, mon équipe et moi-même sommes plus dans l’idée d’acheter de très bons jeunes, comme Dexter de Kerglenn (Mylord Carthago) que nous avons eu à six ans, et de les amener vers le haut niveau s’ils en ont les capacités. Je prends désormais beaucoup de plaisir à former les jeunes, à repérer leur potentiel et les amener sur les grosses épreuves. C’est ce que nous avons fait avec Dexter et cela nous a plutôt bien réussi (rires). J’espère qu’il en sera de même pour les autres. Malgré tout, je ne peux pas avoir énormément de jeunes dans mon piquet, notamment car en parallèle de ma vie de cavalière, je suis encore étudiante. Aujourd’hui, j’ai trois jeunes chevaux mais tous ont vraiment beaucoup de qualités. La qualité, c’est d’ailleurs ce que je privilégie, tout en suivant les conseils de ma mère et de Simon Delestre, qui m’accompagnent dans ma carrière. L’idée n’est pas vraiment de chercher en permanence des jeunes chevaux, mais plutôt de garder les yeux ouverts. Si nous voyons un cheval qui a selon nous les capacités pour faire du haut niveau, nous nous penchons alors sur le sujet et prenons le temps de la réflexion.
Qui sont aujourd’hui les trois jeunes chevaux qui font partie de votre piquet ?
Il y a tout d’abord une jument de huit ans, Gloire Gravelotte (Crusador, Holst). Nous avons fait nos premiers concours ensemble il y a quelques semaines à Doha, sur des épreuves cotées à 1,35 ou 1,40 mètre, et tout s’est vraiment bien passé. Elle avait fait une bonne année de sept ans l’an passé avec son ancienne cavalière (Jennifer Hochstadter, ndlr). Nous l’avons achetée en octobre dernier et j’ai pris le temps de travailler avec elle à la maison avant de l’emmener sur les concours. J’ai également une autre jument, de sept ans cette fois-ci, Congratulation Pezi KB, Westf (Congress, Old), qui va commencer les concours à Gassin le week-end prochain. Enfin, j’ai Iovana del Maset, CDE (Inderet del Maset, CDE), qui a très bien couru quelques épreuves labellisées 3* à Doha. Elle a, pour sa part, un peu plus d’expérience que les autres mais a vraiment très bien répété ses gammes à Doha.
Parmi les moments forts de ce début d’année pour vous, impossible de ne pas citer l’étape Coupe du monde de Bordeaux, où vous vous classiez deuxième du Grand Prix avec Dexter de Kerglenn. Comment avez-vous vécu cette expérience et qu’en tirez-vous ?
Initialement, je ne devais pas participer au Jumping international de Bordeaux car nous avions prévu de rester au Moyen-Orient et de faire revenir Dexter assez vite en compétition en extérieur. Je n’ai, cette saison, fait que six étapes Coupe du monde, soit la moitié du circuit, mais toutes m’ont plutôt bien réussi donc nous avons finalement fait le choix de revenir en Europe pour Amsterdam et Bordeaux et essayer de glaner encore quelques points. À Amsterdam, nous faisons quatre petits points de ma faute dans le Grand Prix mais Dexter était vraiment bien. Bordeaux était ma dernière étape car je n’avais pas prévu d’aller à Göteborg. Il fallait donc absolument que je sois dans les trois ou quatre premiers afin de décrocher ma qualification pour la finale à Riyad. Il y avait un assez gros enjeu. Mais, comme toujours, Dexter a été fantastique. Le public a lui aussi été formidable et que dire du résultat… Si je pouvais revivre cette expérience tous les week-ends, je le ferais sans hésiter ! Bordeaux a été un moment très fort, que je n’avais jamais encore vraiment connu et qui va assurément laisser des traces.
À dix ans, Dexter de Kerglenn semble lui aussi connaître une véritable montée en puissance. Est-ce que c’est un sentiment que vous partagez ?
Pour moi, ce cheval est un véritable génie. Il fait assurément partie des meilleurs chevaux au monde. Il a tout pour lui : l’intelligence, l’esprit de compétition, la volonté, le courage… Il a vraiment toutes les qualités. Cependant, c’est un cheval à qui il a fallu laisser du temps. Sur ce point, je dois beaucoup à Julien Epaillard, qui me coachait auparavant. C’est lui qui m’a convaincue qu’il était très important de prendre le temps avec ce cheval-là. À huit et neuf ans, il n’a fait que quelques épreuves cotées à 1,45 mètre, sur lesquelles il était déjà très haut et très respectueux. Nous ne voulions pas qu’il perde confiance donc nous n’avons volontairement pas accéléré les choses. Parfois, cela a été un peu frustrant car lorsque vous avez un cheval avec autant de qualités, vous avez toujours envie de faire plus assez vite. Mais je pense que Julien Epaillard a vraiment eu raison de m’imposer de prendre le temps car c’est sûrement grâce à cela qu’il est aussi bien, aussi sûr de lui et aussi performant aujourd’hui. Il est vraiment dans une forme incroyable et j’espère que cela va durer.
En parlant de coaching, cela fait quelque temps maintenant que vous vous entraînez avec Simon Delestre. Vous apporte-t-il une nouvelle approche ?
C’est plutôt rare de dire cela mais la transition entre Julien Epaillard et Simon Delestre s’est vraiment bien faite. C’est un grand changement mais qui s’est fait naturellement. Julien n’avait plus spécialement le temps en raison de ses objectifs sportifs, ce que je comprends totalement et nous sommes d’ailleurs restés en très bons termes. C’est par le biais de Julien que j’ai rencontré Simon, ce qui a facilité les choses. Simon m’apporte beaucoup, et pas seulement techniquement. C’est un cavalier qui a un vrai système, qui est très travailleur, qui sait exactement où il va. Il fait du commerce et du haut niveau depuis de très nombreuses années, il a des propriétaires fidèles… Pour moi, c’est quelqu’un de très inspirant. Il est très respectueux des autres et des chevaux, très professionnel, et je pense que c’est pour ces raisons-là, entre autres, qu’il a cette carrière et qu’il est dans le Top 30 mondial depuis autant d’années. Et puis, il prend beaucoup de temps pour moi depuis deux ans et je lui dois énormément. Il m’a permis d’évoluer sur de nombreux points et de passer de grands caps.
Quels sont vos objectifs pour cette année 2024 ?
Contrairement à beaucoup d’autres cavaliers, les Jeux Olympiques ne sont pas vraiment un objectif pour moi. Mon objectif principal cette année est la finale du circuit Coupe du monde. À vingt-deux ans, je suis peut-être encore un peu jeune donc il faut vraiment que je prépare au mieux cette échéance. Je tiens à mettre toutes les chances de mon côté et à faire cela au mieux, notamment en préparant de la meilleure manière possible mon cheval. Tout comme moi, Dexter n’a encore jamais participé à un championnat chez les Seniors. Beaucoup de facteurs sont à prendre en compte, comme le fait qu’il n’ait encore jamais pris l’avion. Il nous faudra donc, pour mon équipe et moi-même, gérer les choses au mieux, de façon calme et raisonnée. Malgré tout, je ne me mets pas plus de pression que d’habitude. Je ne suis pas quelqu’un de nature stressée mais plutôt rationnelle donc cela aide. Je me dis que si on a déjà réussi de cette façon-là, il faut continuer à faire comme ça. Mais c’est quelque chose qu’il faut malgré tout préparer, autant pour moi que pour lui. Il me reste cinq ou six semaines avec cette échéance, qui sera la plus grande de ma vie jusqu’ici et la plus importante pour moi cette année. Nous allons tout faire pour accrocher au moins un Top 10, ça serait merveilleux.
Quelles sont vos ambitions pour cette saison avec vos autres chevaux ?
J’ai connu, il y a peu, un renouvellement dans mon piquet. J’ai fait le choix de me séparer de chevaux qui m’ont énormément donné, comme Vannan (qui évolue désormais sous la selle de la sœur de Jeanne, Louise, ndlr) et Unforgettable Damvil. Aujourd’hui, tous les deux sont toujours aussi contents d’aller en concours, mais aussi d’en faire moins qu’avant. Et c’est tout à fait normal, notamment car ils ont un peu subi mon apprentissage. Ce renouvellement n’a pas forcément été évident mais désormais, je peux compter sur deux très bons dix ans, qui sont pleins de qualités mais que je dois continuer à former. Aujourd’hui, mes chevaux les plus expérimentés sont malgré tout encore un peu jeunes, à l’instar de Dexter qui, rappelons-le, n’a que onze ans. Il est mon cheval de tête mais je peux également compter sur Kosmo van hof ter Boone, Bwp (Arko III, Old), qui a quatorze ans et est très performant. Il a connu quelques péripéties dans sa vie mais est actuellement en pleine forme. C’est un miracle qu’il puisse encore faire du sport donc nous l’écoutons au maximum. Avec lui, il n’y a aucune obligation, c’est lui qui nous dit ce qu’il a envie de faire. Malgré tout, il reste un vrai soutien pour Dexter. J’ai donc un vrai bon piquet de chevaux et j’espère, d’ici 2025, avoir pu emmener mes jeunes au niveau où Dexter est actuellement. Je sais que cela n’est pas forcément facile car il met la barre très haute mais c’est l’idée. Et puis, nous gardons également les yeux ouverts pour trouver d’autres nouveaux jeunes chevaux, les former et, parfois, les commercialiser. Car nous pouvons nous permettre d’acheter de nouvelles recrues mais il faut aussi qu’il y ait un roulement, pour que les choses soient économiquement viables et raisonnées. Comme pour beaucoup de choses, l’objectif est de trouver un équilibre, en somme.