La toise des poneys, une épine de taille dans le sabot de la filière – Partie 2
Le manque de fiabilité des toises des poneys de concours renseignées dans la base de l’IFCE pose une vraie difficulté depuis toujours, notamment pour le calcul des indices de performances. Indices de performances qui pourraient, à terme, perdre de leur crédibilité, tout comme les indices génétiques. Historique et explications d’une problématique devenue bien délicate.
Retrouvez la première partie de cet article en cliquant ici.
Depuis 2020, face à la pression pesant sur les très jeunes cavaliers dont les poneys étaient en limite de taille de voir leur monture échouer au terrible examen vétérinaire et de se voir éliminer des championnats sur place, après toute une saison de concours qualificative, il a été décidé d’un nouveau mode opératoire. Désormais, sont organisées chaque année, dans des stations de toise des différentes nations, des sessions de toisage FEI où les poneys inscrits sont mesurés par deux vétérinaires approuvés par cette dernière, de nationalités différentes, n’appartenant pas à la fédération nationale accueillant la session et dont les noms sont gardés confidentiels jusqu’à l’ouverture de la session.
Les poneys doivent encore et toujours mesurer maximum 1,48 mètre non ferrés et 1,499 mètre ferrés, ce qui laisse passer les poneys toisant, dans des conditions normales et habituelles, 1,52 mètre ferrés du fait de la préparation des pieds et de la ferrure qu’il est possible de leur faire subir et porter un jour J, sans qu’ils ne boitent pour autant (car les vétérinaires toiseurs les disqualifieraient), mais éventuellement sans qu’ils ne soient non plus capables de sauter voire travailler pendant quelques jours ou semaines. Un poney toisé “hors taille”, comme on le dit, peut participer la même année à une autre session, puis, s’il ne correspond toujours pas aux critères de taille, une fois par an lors des deux années consécutives suivantes. Au total, un poney peut ainsi être mesuré quatre fois au cours de trois années consécutives, après quoi il sera définitivement écarté du circuit FEI poney s’il ne mesure pas officiellement moins de 1,50 mètre ferré. Notons que les poneys de six à huit ans reçoivent un certificat provisoire de quinze mois, quand ceux d’au moins huit ans reçoivent un certificat à vie et ne peuvent donc plus se faire exclure du circuit.
Soulignons également au passage que, lorsque l’on connaît l’origine de cette détermination d’1,48 mètre pour la taille maximale des poneys (tout simplement basée sur les standards des livres généalogiques des poneys de races dites “pures” qui n’ont en réalité pas ou plus lieu d’être dans le sport), on peut se demander pourquoi la taille maximale des poneys de sport, avec des adolescents qui sont de plus en plus grands, ne passerait pas à 1,50 mètre non ferré (soit 1,51 mètre ferré et 1,519 mètre avec la tolérance – ce qui laisserait passer des équidés jusqu’à 1,54 mètre ferrés en conditions normales et habituelles)…
Concernant la fiabilité des tailles enregistrées dans la base de l’IFCE, nous avons interrogé les instances nationales sur cette problématique qui s’apparente à un véritable serpent de mer.
Imbroglio français
« Par cet écrit, je vous confirme notre position d’arrêter les échanges sur ce sujet au nom de l’Institut français du cheval et de l’équitation. Vous pouvez en faire mention dans votre article, c’est tout à fait votre droit et nous l’assumons », Marion Renault, directrice communication et marketing à l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE). Voici comment l’IFCE en est venu à clore une demande de renseignements de notre part, pendant des années transmise à Anne Ricard, ingénieur à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) et conceptrice des indices de performance, laquelle nous a, pour la première fois, renvoyé fin 2022 vers le service de communication de l’IFCE. C’est finalement Sophie Danvy, directrice adjointe, chargée du développement de la vulgarisation, du pôle développement, innovation et recherche de l‘IFCE, qui a répondu à notre sollicitation.
À notre première question « Le calcul des indices de performance poney se fait-il bien depuis plusieurs années selon la taille précise des poneys (centimètre par centimètre et non par catégorie de tailles : A, B, C, D et E), s’il vous plaît ? Et les tailles du fichier FFE ou IFCE qui vous sont transmises sont-elles bien non ferrées ? », la réponse fut la suivante : « Le modèle d’indexation, en 2022, n’a pas évolué par rapport à celui mis en place les années précédentes. Ce sont les toises en centimètres qui sont prises en compte dans le modèle actuel (défini en 2013, validé par la commission nationale d’amélioration génétique (CNAG) en janvier 2014 et présenté lors de la Journée de la recherche équine en mars 2015). La prise en compte de la toise se fait soit via des toises (données déclarées ou données contrôlées) fournies par la FFE pour lesquelles nous n’avons pas l’information “ferré/non ferré”, soit via des toises mesurées lors des finales SHF pour lesquelles nous avons l’information “ferré/non ferré”, qui est prise en compte. Dans tous les cas, les toises utilisées sont celles fournies par les responsables du circuit des compétitions équestres, qui appliquent les règlements qu’ils ont édictés. Le calcul des indices est réalisé à partir des informations fournies à l’IFCE (résultats en compétition et toises), par la FFE et/ou la SHF. Certaines toises peuvent être corrigées directement par l’IFCE si un certificat de toisage officiel lui est transmis (ce qui reste très rare). L’IFCE n’a pas vocation à se substituer au rôle de ces organismes tiers en charge du contrôle des performances, tels que définis par le RZUE (règlement zootechnique de l’union européenne). Les ingénieurs en charge du calcul des indices, supervisés par Anne Ricard, utilisent les données qui lui sont transmises et ne disposent d’aucun moyen de vérifier la qualité de chaque résultat des 21 701 poneys utilisés ni de vérifier la probité des propriétaires/cavaliers ayant, le cas échéant, renseigné ces données. »
À notre question suivante, « Puisque ce sont bien les toises en centimètres qui sont prises en compte dans le modèle d’indexation actuel, comment sont traitées les toises FFE pour lesquelles vous n’avez pas l’information “ferré/non ferré” ? Sont-elles considérées comme ferrées ou non ferrées ? Et les toises qui sont dans la base SIRE […] sont-elles ferrées ou non ferrées ? », telle fut la réponse : « En l’absence d’information sur le ferrage, comme précisé dans mon mail précédent, c’est bien une toise en centimètres qui nous est transmise qui est prise en compte dans le calcul. Concernant les toises reçues consolidées par le SIRE, elles se basent sur les informations suivantes : celles transmises par la FFE, celles transmises par la SHF et celles des certificats de toisage transmis officiellement au SIRE. ». Botté en touche. Ces questions demeurent donc, auprès de l’IFCE.
Des questions auxquelles la FFE vient répondre sans hésitation : « Nous transmettons annuellement à l’IFCE un fichier pour le calcul des indices. Il comporte une valeur numérique pour la taille des équidés ; il s’agit soit de la taille enregistrée sur la fiche FFE de l’équidé, soit de la taille maximale de la catégorie dans laquelle a été enregistré l’équidé (D = 148 centimètres). Les tailles communiquées sont “non ferrées”, arrondies au centimètre inférieur. »
À nos interrogations à l’IFCE qui ont suivi, « Êtes-vous informés que depuis fin 2016, lors de l’enregistrement sur la liste FFE, le propriétaire d’un poney n’est plus tenu de renseigner la toise exacte mais doit simplement sélectionner la catégorie de taille A, B, C ou D ? Comment allez-vous calculer les indices de ces poneys, qui vont naturellement devenir de plus en plus nombreux pour finir, dans quelques années, par être largement majoritaires, dont vous n’aurez pas la toise en centimètre ? Et le modèle d’indexation actuel pourra-t-il continuer à gérer d’une part des poneys dont vous aurez la toise précise et d’autre part d’autres poneys dont vous aurez seulement la catégorie de taille ? », Sophie Danvy a répondu : « Nous envisageons la possibilité de revenir à une correction de la taille par catégorie dès l’indexation 2023. La prise en compte de la taille perdra un peu en précision mais limitera les contestations que les scientifiques ne peuvent pas maîtriser. Actuellement, pour votre bonne information, l’effet de un centimètre de taille est autour de 0.5 à 0.8 point d’indice (varie en fonction de l’âge et de l’année). Les scientifiques impliqués dans le calcul des indices de performance et génétiques travaillent avec les données qui leur sont transmises. Des échanges ont lieu chaque année sur la qualité des données utilisées/reçues et les remarques de chacun sont analysées et dans la mesure du possible prises en compte. Nous faisons confiance dans la qualité des données qui nous sont transférées par les organismes agréés pour leur gestion. » Ce serait donc un grand retour en arrière, qui irait dans le sens contraire d’une plus grande fiabilité des indices : la prise en compte de la taille précise lui est impérative. Pas de réponse non plus à notre question “N’avez-vous aucun pouvoir d’influence ou de quelconque moyen de travailler avec la FFE pour les conduire au nécessaire enregistrement de l’intégralité des toises en centimètres des poneys de compétition qui constituent une caractéristique essentielle des poneys au même titre que leur robe, leur race, leur signalement ? » Et s’il est nous est fait remarquer qu’« actuellement, pour votre bonne information, l’effet de un centimètre de taille est autour de 0.5 à 0.8 point d’indice (varie en fonction de l’âge et de l’année) », en revanche, dans une même catégorie de taille, entre 1,31 et 1,40 mètre par exemple, ce n’est plus du tout la même chose. Et quant à faire confiance à la qualité des données qui sont transférées par les organismes agréés pour leur gestion, en réalité, nous ne sommes pas certains que ce soit la meilleure option. En effet, les catégories de taille ou les toises enregistrées à la FFE le sont, pour leur grande majorité, sur la base déclarative des propriétaires des poneys, sans aucun contrôle. Et par ailleurs, la FFE est-elle agréée pour la gestion de toises spécifiquement ? Cela ne semble pas être de son avis en tout cas. Sophie Dubourg, Directrice technique nationale de la FFE, interrogée, s’exprime franchement : « Il n’est pas dans les missions de la FFE de gérer le renseignement des tailles précises des poneys qui concourent dans nos épreuves : nos règlements des compétitions raisonnent en catégorie de taille. La question de la toise précise relève de l’élevage et donc de l’IFCE. Il serait très coûteux pour nos clubs de leur imposer une toise systématique de leurs poneys réalisée par un vétérinaire ». Mais si l’IFCE veut dépenser le montant nécessaire pour toiser plus de 20 000 poneys de compétition, la FFE n’y voit pas d’inconvénient…
Relevons par ailleurs que lorsqu’un propriétaire souhaite faire modifier auprès de l’IFCE la taille erronée de son poney, cela peut prendre la forme d’un véritable parcours du combattant, qui peut durer jusqu’à deux ans. Enfin, des poneys dont la toise a été modifiée sur la FFE (par le biais de la transmission d’un certificat de toisage établi par un vétérinaire s’il s’agit de baisser la taille ou, maintenant, la catégorie de taille ou simplement par voie déclarative s’il s’agit d’augmenter la catégorie de taille) ou qui ont fait l’objet d’un toisage FEI ou SHF modifiant leur toise enregistrée initialement ne voient toujours pas cette dernière mise à jour dans la base de l’IFCE. Ainsi, l’IFCE semble assez désarmée face à un problème… de taille qui risque fort d’être réglé par une belle simplification au détriment de la caractérisation des poneys de sport en France et de la fiabilité des indices de performances et donc génétiques – et donc finalement au détriment de l’élevage.