Léa Lansade : “Si on veut que notre sport continue d’exister, il faut communiquer sur les bonnes pratiques”
Il y a quelques semaines, la Fédération française d’équitation (FFE) a publié les premiers résultats de l’étude portant sur la santé physique et mentale des chevaux de haut niveau. Léa Lansade, chercheuse en éthologie et bien-être pour l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE) à l’Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), précise les résultats de cette étude menée par Romane Phélipon, doctorante en éthologie, avec laquelle elle collabore.
Dans le cadre de la thèse dénommée Happy Athlete et menée par Romane Phélipon dans le cadre de ses études, “l’objectif est de montrer qu’il est possible de concilier performances à haut niveau et bien-être équin”, indique Léa Lansade, encadrante. Un parallèle qui ne va pas toujours de soi, et pourtant. Financées par le fonds de dotation de la FFE, EquiAction, en partenariat avec l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE) et l’Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), les recherches de Romane l’ont pour l’heure menée dans treize écuries de saut d’obstacles et de concours complet de haut niveau, dont les représentants se situent dans les Groupes 1 de la FFE. “Romane a relevé plus de 3000 observations au sein de ces écuries”, indique Léa Lansade. “Elle a noté les comportements des chevaux. Ce sont des chevaux qui sont en bonne santé, ce que nous savions déjà car la performance est forcément liée à une très bonne condition physique. Les observations ont davantage porté sur les états mentaux des chevaux, et le respect de leurs besoins fondamentaux.”
Les 3F, incontournables dans le bien-être animal
“En anglais, on appelle cela les 3F pour Friends, Forage, and Freedom”, indique la chercheuse. “Les contacts sociaux, du fourrage à volonté et l’accès très régulier à des déplacements en liberté sont les trois grands besoins fondamentaux des chevaux. Grâce aux observations de Romane, nous nous sommes aperçus que beaucoup de cavaliers de haut niveau y prêtaient attention.” En termes de chiffres, les premiers résultats de l’étude indiquent que 43% des chevaux observés ont un accès illimité à du fourrage. Un chiffre qui pourrait encore être amélioré. Sur la question de la liberté, près de trois quarts des chevaux observés sortent au moins six fois par semaine en liberté et ils sont 64% à sortir tous les jours en liberté, ce qui représente une donnée encourageante, l’accès à la liberté pour leurs montures étant pris sérieusement en compte par les sportifs. Enfin pas de chiffres précis concernant l’accès à des interactions sociales, si ce n’est l’amélioration de la forme mentale des équidés lorsqu’ils sont au contact de leurs semblables : “il a été constaté une différence significative des comportements anormaux pour les 14% de chevaux qui avaient des interactions physiques partielles ou totales avec leurs congénères.”
“Grâce aux observations de Romane, nous avons mis en évidence qu’il était possible de concilier haut niveau et respect de ces 3 fondamentaux”, conclut Léa Lansade. “Les chiffres qui sont issus de cette étude sont très clairs : plus les chevaux de haut niveau sortent librement, plus ils ont de contacts avec d’autres chevaux et plus ils ont accès à du fourrage à volonté, mieux ils sont dans leur tête. Par exemple, le simple fait de sortir la moitié de la journée au pré, réduit par quatre le risque de développer des comportements révélateurs de mal-être, qui se traduisent par des tics ou des signes d’anxiété… Les analyses statistiques montrent que les chevaux de haut niveau qui vivent dans des conditions respectant au maximum l’ensemble des 3F ont tous des indicateurs de bien-être très élevés et ne présentent aucun trouble du comportement, signe qu’ils ont un excellent mental. Loin d’être anodin, le respect de ces 3F est donc essentiel et de nombreux cavaliers, parmi les meilleurs français, l’ont bien compris et l’appliquent déjà au quotidien.“
Des pratiques qui évoluent
“On voit des cavaliers qui laissent vivre leurs chevaux de haut niveau en troupeau”, souligne Léa Lansade. “Et nous avons noté que les chevaux qui vivent en groupe présentent paradoxalement moins de blessures que ceux qui vivent en box. J’avoue que nous ne nous attendions pas forcément à ce constat. Il faut également mettre au crédit des grooms et des personnes qui s’occupent de ces chevaux ces évolutions : le fait de placer les chevaux par affinités, de les observer avec attention et de s’adapter à chaque cheval participe au bon fonctionnement des choses. Certaines écuries, qui comptent des étalons, ne les isolent pas pour autant. Au haras d’Avenches, en Suisse, les étalons sont sortis ensemble, en troupeau. Le fait d’être entier n’est pas incompatible avec la liberté.”
Par le biais de ces observations, Léa Lansade constate une évolution des pratiques. “Le fait de laisser vivre ses chevaux en troupeau se voyait assez peu avant, les sportifs préféraient de loin mettre leurs chevaux au box pour éviter les risques de blessure. Mais on s’aperçoit finalement que ce n’est pas lié, et que les chevaux au box se blessent davantage que ceux vivant au milieu de leurs semblables. De plus en plus de cavaliers de haut niveau se remettent en question et c’est une bonne chose, car ils montrent la voie.” Effectivement, qui de mieux placé que ces ambassadeurs des sports équestres nationaux pour montrer les bonnes pratiques aux milliers de propriétaires et cavaliers ? “Nous n’avons de toute façon pas le choix : si on veut que notre sport continue d’exister, il faut évoluer et améliorer nos méthodes.”
Le bien-être animal dans le cadre des Jeux
Cette étude sur l’état de forme des chevaux va se poursuivre encore deux années. Certains des chevaux observés prendront part aux Jeux Olympiques de Paris. Et, justement, en lien avec cet événement, GL Events Equestrian Sport (société organisatrice du salon Equita Lyon et, cette année, des épreuves équestres des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris) a annoncé, la semaine dernière, avoir créé un comité dédié au bien-être animal, avec le soutien de la Fédération française d’équitation. Léa Lansade fait partie de ce comité, qui s’est déjà réuni pour plancher sur les préconisations du rapport de Loïc Dombreval, député des Alpes-Maritimes, qui en comprend quarante-six. “Nous avons souhaité étudier ces recommandations avec tout le sérieux qu’elles méritent”, poursuit Léa Lansade. “Sur l’ensemble, une vingtaine font référence à des points d’ores et déjà pris en compte dans les règlements sportifs internationaux ou par les organisateurs en charge des épreuves équestres des Jeux de Paris. Il est primordial d’informer le public de ces évolutions. Un Horse Welfare Officer sera nommé pour les Jeux 2024, c’est une première lors d’un tel événement. Ce vétérinaire sera présent tout au long de l’événement et veillera spécifiquement au bien-être des chevaux depuis leur arrivée jusqu’à leur départ. S’il sera la personne référente sur ce sujet, il n’œuvre évidemment pas seul et son rôle est complémentaire à celui des très nombreux vétérinaires et officiels de compétition systématiquement présents sur le site pour veiller sur les chevaux.”
Un Horse Welfare Officer présent sur chaque événement GL Events
Si le comité vise dans un premier temps à fournir une expertise la plus complète possible et à formuler, le cas échéant, des pistes d’amélioration pour les épreuves équestres des Jeux de Paris 2024, ses membres souhaitent aussi et surtout que ce travail profite à l’ensemble des événements équestres à venir. GL events Equestrian Sport s’est par exemple engagé à ce qu’un Horse Welfare Officer soit désormais nommé sur chacun de ses événements. “Bien que le rôle du Comité soit uniquement consultatif, sa création et la présence de ce nouveau vétérinaire référent sont déjà de grandes avancées sur le sujet du bien-être du cheval en compétition“, conclut la chercheuse.