Lionel Saivres inverse le cours du temps
L’année prochaine, Lionel Saivres, éleveur à l’affixe d’Argent, devrait accueillir un produit de Cor de la Bryère et un autre par Uriel. Une remontée dans le temps qu’il explique par le désir de vouloir accéder à une génétique pure et constitutive de la race du Selle Français Originel.
Lorsqu’il a évoqué le sujet sur les réseaux sociaux, Lionel Saivres a suscité moult réactions. Il faut bien reconnaître que le fait de posséder des juments gestantes de Cor de la Bryère et d’Uriel a de quoi interpeller. Alors que l’éleveur a accueilli cette année des produits SFO par Quick Star et par Baloubet du Rouet, nous l’avons interrogé sur ses choix d’étalons pour l’année à venir. Nostalgie d’une époque passée ou stratégie d’élevage éclairée, Lionel Saivres a accepté de nous expliquer les raisons de sa démarche.
Tout d’abord, pouvez-vous nous préciser quels sont les croisements réalisés cette année ?
Elvira, une fille de Diamant de Semilly, est pleine de Cor de la Bryère. Cela faisait quelques années que j’essayais, et cela semble bien se passer cette année. Elvira est une grande jument, puissante, musculeuse, avec de l’os et du sang. Grâce à ce croisement, j’obtiens un inbreeding sur Rantzau, qu’on ne peut retrouver qu’à l’heure actuelle en sixième ou septième génération, et qui a finalement peu d’impact. Avec ce croisement, cet inbreeding remonte dans le pedigree et amènera, je pense, de l’explosivité. Il se retrouve notamment chez Baloubet, ce qui lui a sans nul doute donné ce côté génial et fantasque. Avec Elvira, j’ai donc un croisement Cor de la Bryère x Diamant de Semilly x Jalisco B. Le deuxième croisement est donc celui d’Uriel avec Tamoa d’Argent (Quick Star), une jument que j’ai également fait naître. Tamoa est moderne, racée, a du sang et de beaux tissus. Uriel a fait des chevaux courageux, mais pas dans le sang et avec des tissus moyens. Je pense que Tamoa gommera ces défauts, car elle signe fortement ses produits. J’ai donc une combinaison Uriel x Quick Star x Quidam de Revel.
Pourquoi avoir choisi ces étalons, qu’on retrouve en quatrième, cinquième génération voire plus loin dans les pedigrees des chevaux de sport actuels ?
Tout d’abord, je tiens à préciser que je ne suis pas nostalgique d’une période passée, que je ne porte pas d’œillères et que je ne suis pas fermé à l’utilisation d’origines étrangères. Je réfléchis avant tout par rapport à une stratégie d’élevage et le fait est que, malgré un travail de sélection important sur les races de chevaux de sport qu’on ne peut pas nier, nous sommes en présence très majoritaire aujourd’hui de chevaux métissés. En deux décennies, nous avons vu l’appauvrissement du capital génétique pur de la race Selle Français. Et aujourd’hui, je ne trouve plus de reproducteur Selle Français Originel qui me convient, avec vraiment de la top qualité. Ma démarche est de repartir sur une base génétique pure, avec d’excellents reproducteurs côté maternel, comme Diamant, Quick Star, Quidam de Revel… Mon objectif est d’obtenir de jeunes sujets avec la génétique constitutive du selle Français Originel, dans un but d’élevage et de reproduction prioritairement, même si le sport reste présent. Mais, à partir de cette base, on peut ensuite faire ce que l’on veut, quitte à opérer un croisement avec Conthargos, Old, ou Casall, Holst, par la suite pour le sport.
Vous comprenez que votre démarche interpelle et que certains ne la jugent pas s’inscrivant dans l’ère du temps ?
Bien sûr, mais mon but n’est pas de faire le buzz. Et puis, la solution de facilité ne serait pas de faire cela : il m’a fallu du temps, beaucoup d’efforts et d’investissement pour parvenir à ces résultats. Il y a une forme d’abnégation et, si j’espère bien évidemment faire naître de futures poulinières pour mon élevage, peut-être que cela servira également à redensifier la génétique du Selle Français Originel. Je n’ai aucune prétention, cependant, je souhaite juste obtenir une qualité de chevaux remarquable et c’est dans ce sens que j’ai pensé mes croisements.
Comment imaginez-vous ces produits ?
Franchement, je n’en sais rien (silence et réflexion). Je me dis juste qu’il y a eu très peu de produits de Cor de la Bryère en France car il a été exporté rapidement à l’étranger, et notamment en Allemagne où il est devenu un chef de race. Quant au produit d’Uriel, j’espère vivement avoir une pouliche. Si Uriel a donné quelques bons étalons comme Rosire ou Paladin des Ifs, ses filles ont été fantastiques : citons Gueule d’Amour, la grand-mère de Flipper d’Elle, Tornade du Prélet, la troisième mère de Nino des Buissonnets, Nuitd’Avril, la troisième mère de Reggae de Talma, actuellement la meilleure poulinière mondiale, Gazelle d’Elle, la mère de Cabri d’Elle, ou encore Karielle, la mère de Dollar du Mûrier. Avoir une fille d’Uriel, ce serait phénoménal.
Cette année, vous avez déjà accueilli des produits aux origines devenues moins répandues en première génération…
Oui, j’ai eu Noir et Or d’Argent, par Quick Star et Forlane d’Argent, une fille de Diamant. Pour l’instant, c’est le seul Quick Star né en France. Je voulais refaire le croisement de Red Star d’Argent, ISO 160, son oncle, que j’ai fait naître il y a quelques années. J’ai également eu Nino d’Argent, un Baloubet du Rouet avec Elvira d’Argent, une autre poulinière par Diamant. Pour l’heure, c’est également le seul Baloubet né en France, mais je crois qu’un autre est également attendu au haras de Hus cette année. Ces deux naissances sont déjà exceptionnelles et, au-delà du potentiel sportif, c’est surtout le potentiel de reproducteur qui m’intéresse.
Photo : Coll. SHF/Les Garennes.