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Quel avenir pour le Selle Français Originel ?

Jocelyne Alligier 5 mai 2023

Force est de constater que de moins en moins de chevaux Selle Français naissent avec des lignées 100% Selle Français. Tandis que certains éleveurs et professionnels déplorent la perte d’une partie du patrimoine génétique due à l’apport de sang étranger au fil des croisements, le stud-book Selle Français entend promouvoir les fondamentaux de la race avec le label “Selle Français Originel”. 

L’ouverture du stud-book Selle Français aux reproducteurs étrangers est une réalité qui ne saurait être remise en question mais qui ne manque pas d’interpeller face à la présence de plus en plus récurrente de courants de sang venus d’autres stud-books. En décembre 2013, le Conseil d’administration du stud-book validait la création d’une appellation “Selle Français Originel’’ pour identifier et valoriser les courants de sang originel de la race. Il s’agit des chevaux dont les ascendants jusqu’à la quatrième génération ne comportent que des courants de sang constitutifs du Selle Français : Selle Français, évidemment, mais également Demi-sang, Pur-sang, AQPS, Anglo-arabe, Arabe et Trotteur Français. Cette décision faisait suite à l’ancien système, où l’on trouvait des Selle Français “A”, reprenant ces critères de sang constitutifs de la race, et des Selle Français “B”, avec des courants de sang étrangers.

Selon des règles zootechniques

« Pour la World breeding federation of sport horses (WBFSH), ce n’était pas possible d’avoir deux sections au sein d’un même stud-book. Il aurait fallu avoir deux stud-books différents », indique Pascal Cadiou, président du stud-book Selle Français. « Cela n’aurait pas eu de sens de ne pas comptabiliser les Selle Français “B” et nous avons donc opté pour une autre solution, en respectant les choix des éleveurs sur l’éventail de reproducteurs, et en favorisant le droit du sol : à partir du moment où un éleveur français choisit d’élever avec notre patrimoine culturel sur le territoire français, on considère que le cheval est Selle Français. Cela ne veut pas dire que des Selle Français ne peuvent pas naître à l’étranger, mais il faut que l’éleveur ait choisi de conserver les règles zootechniques qu’on applique dans le stud-book, c’est-à-dire que tous les étalons reproducteurs, quelle que soit leur race, doivent être approuvés pour produire en Selle Français.»

Un programme pour soutenir les éleveurs de SFO

« L’idée du Selle Français Originel est d’avoir un programme d’encouragement pour soutenir les éleveurs qui choisissent de rester dans les fondamentaux de la race », souligne Pascal Cadiou. Outre une communication dédiée avec le logo “Selle Français Originel” imprimé sur le livret d’identification, les programmes des concours d’élevage, les fiches poulinières et les fiches SIRE, le programme offre un soutien financier aux éleveurs avec des prime PACE multipliées par 1,5 et même 2 lorsque l’éleveur choisi un jeune étalon SFO. Ils sont vingt-cinq dans ce cas, entre quatre et neuf ans, dont plusieurs lauréats des finales SHF de ces dernières années. La liste des étalons approuvés pour produire en SFO est disponible sur le site du Selle Français.

Des naissances en baisse 

Force est de constater que ces encouragements ne sont pas assez motivants pour la grande majorité des éleveurs, le cheptel SFO tendant à diminuer avec, par exemple, seulement deux étalons SFO approuvés lors du dernier testage à Saint-Lô en décembre dernier (Jalou B d’Argance et Joli Coeur du Cèdre), tandis que la jumenterie SFO s’amenuise elle aussi. Afin d’éviter que la situation ne continue de se dégrader, Pascal Cadiou confirme l’ouverture d’une réflexion pour mieux valoriser les Selle Français Originels. « Environ 400 poulains SFO naissent chaque année (477 en 2022, soit 6% des naissances totales de chevaux Selle Français, ndlr), alors que nous avons un potentiel de 2 000 (en 2012, 2040 poulains Selle Français Originel avaient vu le jour, soit, à cette époque, 28% des naissances, ndlr). Sur environ 171 000 juments âgées de deux à vingt ans et qui peuvent aller à la reproduction, il y en a environ 27 000 aptes à reproduire en saut d’obstacles. Cela nous paraît intéressant de garder un creuset de SFO car ces chevaux sont représentatifs de la sélection initiale.»

« L’ouverture à l’étranger a permis de compenser certaines lacunes comme la locomotion, le look »

Si Pascal Cadiou ne nie pas l’intérêt qu’a eu l’ouverture du stud-book français à certains courants de sang étrangers, il insiste cependant sur l’importance de conserver certaines caractéristiques de base du Selle Français. « En France, le mode de sélection a toujours été l’aptitude à concourir dans les trois disciplines olympiques, mais nous avons une spécificité avec des chevaux courageux, respectueux. L’ouverture à l’étranger a permis de compenser certaines lacunes comme la locomotion, le look, l’envergure. Mais c’est intéressant d’avoir un creuset pour puiser dans les caractéristiques de base. Je me rappelle, dans les années 1980, de M. Crétinon, directeur du Haras de la Roche-sur-Yon, qui me disait que notre race était fixée avec des critères permettant de donner de la verticalité pour le saut. Donc qu’il n’était pas nécessaire de ramener de l’horizontalité par le recours aux Pur-sang qui ont plus d’étendue, d’horizontalité, pour la vitesse. À la Roche-sur-Yon, nous avons eu énormément de Pur-sang, comme Popof, Fujiyama, Roi d’Auge, Beau Fixe… qui sont présents dans les origines des Selle Français. Ceux arrivés dans les années 1980 sélectionnés sur la vitesse pure avec des morphotypes différents n’ont rien apporté aux chevaux de concours hippique. Aujourd’hui, l’amélioration génétique passe plus par des critères communs, on cherche plutôt à renforcer l’aptitude en mariant des semblables.»

De nouvelles mesures en réflexion

Compte tenu du nombre de naissances de chevaux labellisés Selle Français Originel en baisse depuis près de dix ans et de cette volonté de, pourtant, garder un socle SFO important pour la race, le stud-book tricolore réfléchit à la mise en place de nouvelles mesures. « Il y a beaucoup de gens qui parlent du Selle Français Originel, mais ça ne se traduit pas par les choix dans les plans de monte. Nous devons donc réfléchir pour maintenir ce creuset avant qu’il ne soit trop tard. Nous pensons à une éventuelle “discrimination positive”, en mettant des points supplémentaires sur des critères de nos fondamentaux comme le respect, le courage… Ou accompagner mieux le soutien financier sur les points PACE…», indique Pascal Cadiou. 

« L’apport majeur de sang étranger a dégradé le Selle Français »

Cyril Forestier est éleveur et tient en haute estime le Selle Français Originel. Basé en Charente-Maritime, il s’est installé comme agriculteur en 1992 et a accueilli des chevaux deux ans plus tard. Après quelques naissances, il a vite orienté son élevage en fonction d’une sélection génétique plus pointue avec, au coeur de ses choix, des Selle Français Originels. Ainsi, en 1999, le premier poulain issu de cette sélection, baptisé “Lavillon” – nom du cours d’eau qui passe dans les prairies de l’élevage -, inaugure avec succès son affixe. Ce premier produit de l’élevage issu du croisement Diamant de Semilly et Laudanum a tourné par la suite en CSI5* avec Ludger Beerbaum et eu une production qualiteuse.  « J’élève sur quatre souches maternelles et toutes mes juments sont nées à l’élevage. Je n’ai que des Selle Français Originels. J’essaie de produire en SFO, mais il faut bien reconnaître que, depuis quelques années, les étalons SFO que nous pouvons utiliser se réduisent comme peau de chagrin », indique l’éleveur. « Et quand il y a des jeunes qui arrivent sur le marché, à l’instar de Joli Coeur du Cèdre, issu du croisement Quidam, Baloubet, Diamant, je ne peux malheureusement pas le mettre sur mes poulinières, qui sont elles-mêmes issues de ces trois étalons. » 

Cyril Forestier admet avoir utilisé des étalons étrangers, avec parcimonie toutefois, mais uniquement dans le but de commercialiser les produits issus de ces croisements. « Quand j’ai vu que tel ou tel étalon étranger produisait bien, je m’en suis servi. Je pense qu’insérer du sang étranger sur un croisement, dans une lignée Selle Français, peut être une bonne chose. Mais pas deux ou trois fois, car on perd les qualités de notre patrimoine génétique. L’apport majeur de sang étranger a selon moi dégradé le Selle Français, qui avait un vrai mental, l’instinct de la barre et une générosité à toute épreuve. C’est peut-être une idée, mais je trouve que l’on voit en France bien plus de chevaux rétifs qu’il y a vingt ou vingt-cinq ans, et dans notre activité d’éleveur, on doit surtout penser à cette clientèle faite d’amateurs, qui a besoin d’avoir des chevaux pratiques. »

Vers un unique cheval de sport européen ? 

Si Cyril Forestier explique encore percevoir à l’oeil la différence entre un Selle Français et un cheval de sport étranger, notamment sur la manière de sauter en s’arrondissant du premier, il estime que cela ne sera peut-être plus le cas dans dix ans. « Le sang étranger nous a amené le look et la locomotion, c’est vrai », reconnaît-il. « Mais certainement pas la facilité d’utilisation. Aujourd’hui, on va vers une production d’un cheval européen, avec de moins en moins de démarcation entre les stud-books. C’est un constat, je n’accuse personne. Un retour en arrière semble difficilement possible, à moins de faire comme mon ami Lionel Saivres, de l’élevage d’Argent, qui a décidé d’utiliser Uriel ou Cor de la Bryère, dont il possède encore des paillettes. A-t-il tort, a-t-il raison ? L’avenir nous le dira, mais il prend un parti. Mais, en tout cas, pour les éleveurs désireux de produire en SFO, ce sera de plus en plus compliqué au vu du faible nombre d’étalons qui affichent encore une lignée 100% Selle Français… »

Photo : Joli Coeur du Cèdre (Dollar dela Pierre x Baloubet du Rouet), SFO. Crédit : Coll. France Etalons/Les Garennes