TVA, le cri d’alarme d’Emmanuel Feltesse
Alors que la loi de finances est sur le point d’être votée à l’Assemblée nationale, Emmanuel Feltesse, président du Comité Régional d’Equitation Ile de France (CREIF) et président du collège des présidents de région, lance un cri d’alarme à la filière et aux élus sur le retour à un taux de TVA réduit.
Pourriez- vous nous rappeler les différentes étapes de ce dossier TVA qui anime la filière depuis une dizaine d’années ?
Dans le passé, les centres équestres, majoritairement associatifs, n’étaient pas soumis à la TVA. A compter de 2004, suite au développement des établissements professionnels, un taux réduit de 5,5%, comme sur la plupart des produits agricoles, a été appliqué à l’activité équestre, officiellement reconnue comme agricole par la loi de 2005 sur le développement des territoires ruraux. Le 8 mars 2012, un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne a contraint l’administration française à se conformer à la directive du 28 novembre 2006, soit à appliquer un taux de 20%. En janvier 2014, une mesure transitoire destinée à atténuer cette augmentation sur l’activité équestre était mise en place par la France. Il s’agit d’un système hybride, avec un taux réduit de 5,5% qui est appliqué aux animations, à l’équitation scolaire, pour handicapés, et à la mise à disposition des installations. Tandis que le taux de 20% concerne les activités d’enseignement, l’entraînement les pensions et la location d’équidés, selon une ventilation forfaitairement fixée à 50% sur les cours d’équitation.
Cette répartition pose systématiquement un problème lors des contrôles fiscaux. Depuis vingt ans, nous avons donc perdu en partie notre taux de TVA agricole alors même que les dirigeants règlent leurs cotisations sociales à la MSA (Mutualité sociale agricole, ndla).
Malgré une évolution récente, ce dossier reste toujours en suspens …
Pendant des années, la Fédération a fourni aux ministères des arguments destinés aux instances européennes pour rétablir le taux de TVA initial de 5,5%. Les gouvernements successifs, de toute obédience politique, que nous remercions, se sont engagés à le rétablir dès que le cadre européen l’autoriserait, ce qui fut le cas en avril 2022. Sur décision unanime des vingt-sept ministres européens en charge de l’économie et des finances, la révision de la directive de 2006 a été adoptée, accordant aux états la possibilité de choisir pour les activités dérogatoires les plus pertinentes, dont l’équitation, leur propre taux de TVA. Les structures équestres étaient persuadées que cette mesure allait enfin s’appliquer. Or les élus nous expliquent que le contexte ne le permet pas, au prétexte d’une perte de revenu pour l’état. C’est en réalité un faux calcul, car même s’il s’agit d’environ 30 millions d’euros, il est
surtout essentiel de prendre conscience que c’est le système dans son ensemble qui est en péril.
Selon vous, les centres équestres sont donc en souffrance ?
Depuis trente ans, l’équitation fait tout pour être accessible aux classes moyennes grâce au principe du cheval partagé, qui permet de réduire les coûts. Voilà dix ans, on enregistrait encore une croissance de la Fédération, qui est aujourd’hui en récession. Dans la période post Covid, les gens, en recherche d’une activité proche de la nature, se sont tournés vers l’équitation. Mais le contexte économique actuel est très tendu. L’année dernière, la Fédération a perdu 20% de ses primo licenciés (585 671 licences en 2022 contre 665 873 en 2021 ndla), et la rentrée 2023 s’avère très morose. Les parents hésitent à inscrire leurs enfants dans un centre équestre ou un poney club. Aujourd’hui, nous proposons toutes les disciplines et approches du cheval quelles qu’elles soient. Seuls 10 à 15% des cavaliers pratiquent la compétition. Parmi les 90% de cavaliers de loisir, beaucoup font déjà de réels efforts pour financer leur pratique.
Je tiens à alerter la filière et les élus, car nous n’allons pas pouvoir tenir éternellement dans ces conditions. Ce taux de TVA imposé à notre activité a pour résultat de priver les classes moyennes de l’équitation. De plus, la profession a fait beaucoup d’efforts pour respecter les lois du travail et toutes les normes, applicables sans problème dans le cadre d’une économie viable. Dans les grandes villes, les établissements disparaissent en raison de la pression immobilière, il est même question de supprimer
l’Ecole Militaire de Paris pour y mettre des bureaux, et la mairie a supprimé le poney-club du Jardin d’acclimatation pour le bien de LVMH. Maintenir ce taux de TVA laisse présager de la disparition programmée des centres équestres et poney-clubs. Ils sont déjà affectés par l’augmentation des charges, et font face à des difficultés croissantes pour renouveler leur clientèle, y compris en région parisienne, où le potentiel est important. Certains clubs sont clairement en difficulté, et les dirigeants s’interrogent sur la pérennité de leur structure, car la passion, si l’on ne peut en vivre décemment, a ses limites. Nous redeviendrons comme voilà trente ans la Fédération Française des Sports Equestres, réservés à une certaine frange de la population qui peut se le permettre.
Quelle est l’urgence de ce dossier ?
Il se produit une sorte d’amalgame parmi les réponses de l’état, qui met en avant les budgets alloués à la filière, mais il s’agit essentiellement de la dotation versée à l’Institut français de l’équitation et du cheval (IFCE, 43 millions d’euros ndla), pour assumer ses missions, notamment sanitaires, qui n’ont rien à voir avec les établissements équestres. La loi de finances 2024-2027, présentée à l’assemblée nationale le 27 septembre dernier, est sur le point de faire l’objet d’un vote. Il faut impérativement que les maires, députés et sénateurs qui ont un centre équestre sur leur territoire, fassent pression vis-à-vis du gouvernement pour rendre aux établissements leur TVA historique. Il y a urgence. J’assimile l’attitude du gouvernement à un manque de considération pour notre filière. La plupart des autres sports, type football, natation, athlétisme et autres, subventionnés par les collectivités, sont exonérés de TVA, et vivent grâce aux impôts des français, alors que non seulement nous ne sommes pas subventionnés, mais nous sommes taxés. Ignorer ce secteur économique, qui rapporte à l’état et constitue le premier employeur du monde sportif, est inadmissible.
Qu’attendez-vous des élus ?
Préserver notre secteur est un choix politique. Nous sommes totalement autonomes, et représentons une filière économique à part entière (troisième fédération sportive, 9400 établissements équestres, 66 000 emplois en activité principale, et 80 000 en activité secondaire, ndla). Il est vrai que les élus nous connaissent encore assez mal, et sont moins sensibilisés à notre cause qu’à leurs terrains de sport municipaux. Nous leur demandons un coup de main car les dernières études l’ont montré, économiquement, la réduction de TVA ne peut qu’être à l’origine du développement du système, et accroître les ressources de l’état. Par ailleurs, le maintien du taux actuel pourrait encourager la mise en place d’un système opaque et de pratiques illicites pour y échapper. De plus, actuellement, certains établissements sont assujettis à la TVA, et d’autres non, d’où une distorsion et une concurrence déloyale qui n’existent pas dans d’autres filières. L’état connaît parfaitement tous ces sujets. Si nous avions une vraie organisation professionnelle, l’état se pencherait sur notre situation, ce qui n’est pas le cas. Actuellement, les dirigeants, avec l’augmentation des charges tous azimuts et la recherche de clientèle pour une activité qui attire de moins en moins, sont débordés par la rentrée, ont peu de personnel, et manquent de temps pour se faire entendre. L’état profite de cette situation et de notre manque d’organisation. Mon espoir est que dans les prochaines semaines, quand la loi de finances fera l’objet de discussions à l’assemblée nationale, puis au Sénat, et d’amendements, ce retour à la TVA réduite soit déjà inscrit dans les textes.
Il y a donc un enjeu considérable à agir dès à présent…
Oui, bien sûr. Contrairement à ce que beaucoup pensent, je suis convaincu qu’il faut faire entendre notre voix, sinon à terme, c’est la fin programmée de l’équitation populaire pour laquelle Serge Lecomte s’est battu depuis trente ans. Mes leviers consistent à sensibiliser les élus qui sont les plus proches du gouvernement pour lui rappeler ses engagements, même si au final, la décision appartient à la première ministre, car le gouvernement a d’ores et déjà annoncé qu’il aurait recours au 49.3. Ce retour à un taux réduit est le moyen de pérenniser une équitation accessible au plus grand nombre, grâce à une mesure qui ne coûtera pas très cher à l’état, alors que si le modèle économique n’est plus viable, l’état perdra des emplois et des cotisations sociales. Nous souffrons encore de cette fausse étiquette de sport de riche, alors que l’on monte à poney pour soixante euros par mois dans un club. D’autre part, on sent une distorsion entre les discours et les actes. Les valeurs véhiculées par les équidés et la filière au sens large (contact avec la nature et les animaux, environnement en adéquation avec l’écologie ndla), sont parfaitement connues, et on nous explique que les jeunes doivent faire du sport. En cette année olympique, le moment serait particulièrement bien choisi pour poser des actes concrets sur les messages du gouvernement. Je demande simplement aux élus d’aider ce secteur économique qui n’est pas sous subvention à perdurer en lui rendant son taux de TVA. Tous les politiques semblent d’accord avec ce discours, mais nous sommes en situation de blocage au plus haut niveau de l’état. Il ne faut pas attendre que ce sport soit en grande difficulté pour être ensuite contraint de l’aider à grand renfort de fonds spéciaux. J’engage mes collègues dirigeants à se rapprocher de leur élus pour leur faire comprendre que c’est une question de vie, ou à terme, de mort. Nous demandons au gouvernement de soutenir des entrepreneurs passionnés dont la valeur humaine pérennise un modèle économique et une activité sportive accessible au plus grand nombre.