Vendredi Biats, l’inattendu
Il est de ces chevaux dont le succès ne laisse souvent pas imaginer une telle histoire, un tel destin. Et qui, pourtant, prouvent que le hasard fait parfois bien les choses. Champion d’Europe par équipe en titre, régulièrement vainqueur ou dans le top 10 des plus belles compétitions du monde (il se classait notamment deuxième du CCI5*-L de Luhmühlen le week-end dernier), Vendredi Biats affiche une carrière exemplaire. Une carrière qui, tout comme sa naissance, a presque été inattendue, comme le raconte son éleveur, Philippe Brivois.
Voilà une histoire qui ne ressemble assurément pas aux autres. Mais qui, comme certaines, a chamboulé plusieurs vies et a mené ses protagonistes vers un succès presque inespéré. Un succès dû, notamment, à des rencontres elles aussi inattendues. « C’est une histoire un peu particulière, qui a débuté grâce à l’imagination débordante de deux enfants », commence Philippe Brivois. « Mon fils et l’une de ses camarades de classe, dont la mère possédait une jument nommée Liane Normande (Camélia de Ruelles), s’étaient imaginé lui faire faire un poulain chez moi, puisque j’élevais déjà des chevaux. » Alors que certains auraient laissé cette idée un peu extravagante tomber aux oubliettes, Philippe Brivois, lui, ose lui donner vie. Pourtant, la jument Selle Français n’avait, comme il le dit lui-même, « rien d’exceptionnel » et « aucun résultat sportif ». « Je voulais faire plaisir à mon fils alors je me suis dit “pourquoi pas ?” », explique l’éleveur qui, à ce moment-là, ne savait pas encore quelle aventure l’attendait.
Des choix et des surprises
Si Liane Normande n’avait pas réussi à émerveiller Philippe Brivois, l’éleveur le reconnaît, son pedigree avait néanmoins quelques atouts. « En regardant les courants de sangs, j’ai notamment relevé celui de Camélia de Ruelles et, surtout, celui du Pur-sang Count Ivor. Des éléments très toniques, en somme », explique-t-il. Quant à l’étalon, c’est sur le Bwp Winningmood VD Arenberg que l’éleveur arrête son choix. « Il me plaisait beaucoup. Certains lui reprochait de manquer de sang, mais rappelons tout de même qu’il gagnait encore des Grand Prix 5* à dix-huit ans, donc il en avait malgré tout », souligne Philippe Brivois avec un sourire qui affirme qu’il ne s’est assurément pas trompé au sujet de ce croisement. Un peu moins d’un an plus tard, Vendredi Biats voyait le jour. « Il était gris, absolument adorable, mais vraiment tout petit. Heureusement, il s’est développé assez rapidement par la suite », se remémore l’éleveur avec tendresse.
Après deux années tranquillement passées dans les prés de la ferme de Biats, dans l’Orne, Philippe Brivois et ses enfants décident de faire tourner leur nouveau jeune prodige dans la carrière. « C’est l’activité du dimanche. Cela nous permet de voir comment nos chevaux se déplacent, réagissent, passent une petite barre au sol et commencent à s’habituer à être séparés des autres, etc. » Rien à signaler du côté de Vendredi Biats. Car ce n’est que l’année suivante que le gris a commencé à offrir à son éleveur ses premières surprises. « Lorsqu’ils ont trois ans, nous leur faisons passer quelques obstacles simples, de soixante ou quatre-vingt centimètres. Quand ce fut au tour de Vendredi, il a fait quelque chose que je n’avais jamais vu de ma vie : il passait en dessous de toutes les barres », se souvient Philippe Brivois, qui ne cache pas non plus que le débourrage du gris n’a pas été des plus simples. Rien qui ne puisse présager l’avenir si brillant qu’a finalement connu Vendredi.
Une histoire de rencontres
Mais un soir, alors que l’éleveur normand échangeait avec William Fox-Pitt (qui a notamment brillé au plus haut niveau un autre produit de l’élevage Biats, Oslo), ce dernier, voyant une vidéo du jeune Vendredi sautant en liberté, lui demande de lui ramener en Angleterre. En fin d’année de quatre ans, le gris a ainsi pris la route des écuries du cavalier multi-médaillé. Si, là encore, tout ne s’est pas exactement passé comme prévu, William Fox-Pitt en restait convaincu : Vendredi allait être un excellent cheval. Avec un certain tempérament, certes. « Finalement, c’est chez Padraig McCarthy qu’il a continué sa formation », explique Philippe Brivois. Et l’Irlandais l’a, à son tour, assuré à l’éleveur : Vendredi deviendrait un très bon cheval de complet. Outre ses qualités de dresseur et de sauteur, c’est aussi son mental qui a fait dire cela à Padraig McCarthy. « Il m’avait dit que c’était un vrai cheval de complet parce qu’il n’avait absolument aucune émotion », relate l’éleveur. Deux mois après être arrivé au sein des écuries de l’Irlandais, Vendredi Biats a su convaincre une autre cavalière de renom, celle qui lui permettra finalement d’exprimer tout son potentiel : Kitty King. « Elle est montée dessus dix minutes, en est tombée amoureuse et est repartie avec », raconte Philippe Brivois. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les deux complices se sont finalement très bien trouvés.
La route du succès
« Entre Kitty et Vendredi, tout a été très vite. Seulement quelques mois après l’avoir acheté, elle participait aux championnats nationaux réservés aux jeunes chevaux de cinq ans », se souvient l’éleveur. La Britannique et celui qu’elle surnomme “Froggy” ont toujours eu ensuite une progression fulgurante. Preuve que le sport est avant tout une affaire de couple. « Elle a su l’apprivoiser, le comprendre et l’accepter tel qu’il était. » En 2015, le duo se classait septième des championnats du monde réservés aux jeunes chevaux de six ans au Lion d’Angers avant de remporter le premier CIC2* auquel il participait quelques mois plus tard. Si la cavalière britannique n’a jamais caché le fait que son partenaire a un fort caractère, qu’il est parfois « très coquin », c’est aussi toutes ces petites choses qui le rendent si spécial et qui ont contribué à son succès. Ses qualités, tant de dresseur que de sauteur, sont indéniables. De toute sa carrière, Vendredi Biats ne s’est d’ailleurs que très rarement (une dizaine de fois sur plus de quarante compétitions) classé en dehors du top 10 et s’est imposé à quatorze reprises parmi les trois meilleurs. Vainqueur de son tout premier CCI4*-L à Bramham en 2019 et du CCI4*-S de Burgham quelques semaines plus tard, cette même année, le gris et la Britannique étaient sélectionnés pour la toute première fois pour participer aux championnats d’Europe. Et, là encore, Vendredi Biats a prouvé qu’il faisait partie des meilleurs en se classant septième en individuel. Qui aurait cru, six ans auparavant, que le puissant gris se retrouverait ici ?
« Comment demander mieux ? »
S’il a ensuite enchaîné les performances au plus haut niveau en étant notamment sacré champion d’Europe par équipe à Avenches en 2021 (où il se classait neuvième en individuel), la saison 2022 a elle aussi été exceptionnelle. « Il est septième du mythique CCI5*-L de Badminton, troisième du CCI4*-S de Hartpury et sixième du CCI5*-L de Burghley », détaille Philippe Brivois, aussi heureux que fier. Lors de cette dernière échéance, outre ce beau classement, “Froggy” a d’ailleurs réalisé deux autres exploits : celui de signer la meilleure reprise de sa carrière et de décrocher le troisième meilleur score obtenu sur le rectangle de Burghley. « C’était un moment absolument magique. Il est sorti de piste avec 21.2 points… Quelle reprise », se souvient l’éleveur, encore ému. D’excellents résultats, qui ont notamment hissé le gris au rang de deuxième meilleur Selle Français de sa discipline en 2022 selon la World breeding federation sport horses (WBFSH). Et, outre les belles performances qu’il a offertes à sa cavalière en 2022, Vendredi Biats a également permis à celui qui l’a fait naître, Philippe Brivois, de se classer septième du classement WBFSH des meilleurs éleveurs de concours complet. Bien ancré sur la route du succès, le formidable gris s’est également, le week-end dernier, classé deuxième du CCI5*-L de Luhmühlen, toujours pour le plus grand bonheur de sa cavalière et de son éleveur. « Quelle chance j’ai d’avoir un si bon cheval ! Vendredi Biats a été phénoménal […] Il a été absolument incroyable tout au long de la compétition, mettant tout son coeur à chaque étape. Comment pourrais-je demander mieux ? », écrivait la Britannique sur ses réseaux sociaux après être montée sur le podium. Bref, Venredi Biats, c’est une histoire aussi belle qu’inattendue.
Crédit photo : PSV.